“Il faut transformer la crise en opportunité””
Philippe Jock :
L’année 2024 a été marquée par des crises successives en Martinique. Entre tensions sociales, difficultés économiques et manque de perspectives, les entreprises locales traversent une période critique.
Philippe Jock, président de la Chambre de commerce et d’industrie de la Martinique (CCIM), dresse un bilan détaillé et expose les enjeux de 2025. Il insiste sur la nécessité d’un sursaut collectif et d’une vision commune pour relancer l’économie locale.
Un bilan contrasté pour 2024
Philippe Jock, quel bilan tirez-vous de l’année écoulée ?
Philippe Jock : 2024 a été une année extrêmement difficile pour l’ensemble des acteurs économiques de Martinique. Le dernier trimestre a été marqué par des émeutes et des pillages qui ont causé des destructions d’une ampleur inédite. Les entreprises étaient déjà fragilisées par la crise sanitaire de 2020 et les tensions sociales de 2021, et cette nouvelle crise est survenue alors qu’elles commençaient à peine à se relever. Ce qui m’inquiète le plus, c’est le manque d’entrain de certains acteurs pour reconstruire et repartir.
Nous avons connu un début d’année encourageant avec une reprise d’activité dans plusieurs secteurs. Le tourisme, notamment, affichait une saison plutôt correcte. Le commerce se maintenait, mais tout a été bouleversé par les événements du dernier trimestre. Aujourd’hui, lorsque nous faisons le point avec les banquiers, ils nous disent que cette crise est encore plus sévère que celles que nous avons connues auparavant, car elle intervient dans un contexte de fragilité extrême pour nos entreprises.
Comment la CCIM a-t-elle réagi face à cette situation ?
P.J. : Nous avons rapidement mobilisé nos équipes pour évaluer l’ampleur des dégâts et établir des chiffres précis sur le nombre d’entreprises impactées et le coût des destructions. C’est la CCIM qui a fourni ces informations aux autorités pour tenter d’obtenir des aides spécifiques. Malheureusement, en raison des difficultés politiques dans l’Hexagone, aucune mesure particulière n’a été prise pour soutenir nos entreprises. Nous devons donc nous contenter des dispositifs nationaux, qui ne sont pas adaptés à notre réalité et ne répondent pas à l’urgence de trésorerie que rencontrent nos entrepreneurs.
Les défis à relever en 2025
Quels sont les principaux défis pour 2025 ?
P.J. : Il y en a plusieurs. D’abord, nous devons affronter un défi démographique majeur : la Martinique connaît un vieillissement de sa population et une baisse de son dynamisme économique. Ensuite, nous devons réussir les transitions écologiques et numériques. Il est indispensable d’accompagner les entreprises dans ces transformations, car elles conditionnent leur survie et leur compétitivité.
Le secteur du BTP est aussi dans une situation préoccupante. Au-delà de la crise sociale, nous faisons face à une baisse drastique de la commande publique et un manque de perspectives pour les entreprises du secteur. Les bailleurs sociaux ont pris des engagements pour relancer l’investissement, mais nous rencontrons toujours des obstacles liés au foncier et à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Une opération voulue ne se lance pas du jour au lendemain : il faut une vision, une planification et des moyens.
Vous évoquez souvent la nécessité de changer de modèle économique. Que faut-il concrètement pour y parvenir ?
P.J. : Un modèle économique ne se décrète pas, il se co-construit. Si nous ne partageons pas une vision commune pour notre territoire, nous nous limiterons à des déclarations d’intention sans impact concret. Il faut que les acteurs économiques, sociaux et politiques travaillent ensemble pour définir un cap clair et réaliste. Nous devons déterminer les axes de développement prioritaires et mobiliser les moyens nécessaires pour y parvenir.
La formation et l’innovation au cœur de la relance
Comment la CCIM s’adapte-t-elle aux besoins de formation et d’innovation ?
P.J. : Depuis six ans, nous avons profondément remanié notre offre de formation pour mieux répondre aux attentes du territoire. Nous avons supprimé des formations obsolètes et en avons créé de nouvelles en fonction des besoins des entreprises. Mais nous nous heurtons à des contraintes financières importantes. La réforme du financement de l’apprentissage a rendu certaines formations non rentables, ce qui complique leur maintien.
Nous travaillons également sur le financement des entreprises innovantes et des start-ups locales. Nous réfléchissons à la mise en place d’un fonds d’amorçage et d’un fonds d’investissement pour permettre à ceux qui n’ont pas les moyens de lancer leur activité d’accéder à un soutien financier.
Comment la CCIM compte-t-elle faire face à la baisse de ses ressources ?
P.J. : Entre 2017 et 2024, nous avons perdu plus de 4 millions d’euros de recettes, soit une diminution de 40 % de nos ressources. Cette baisse est due à la réduction des impôts de production décidée par l’État, qui impacte directement la taxe affectée aux Chambres de commerce et d’industrie. Nous devons donc faire plus avec moins, ce qui nous oblige à prioriser nos actions.
Nous explorons des partenariats avec les acteurs économiques privés, mais aussi avec les collectivités locales comme la CTM et les EPCI. Nous avons déjà des conventions en place avec la Cacem, l’Espace Sud et Cap Nord, et nous devons approfondir ces coopérations pour continuer à apporter un accompagnement efficace aux entreprises.
Vers une relance économique collective
Un dernier mot ?
P.J. : L’économie martiniquaise a besoin d’un nouveau souffle. Il faut que tous les acteurs se mobilisent et travaillent ensemble à une vision de développement ambitieuse et durable pour notre territoire. Si nous voulons éviter un déclin économique et social, nous devons transformer cette crise en opportunité et passer de la parole aux actes.
Philippe Pied