Il aura fallu ces deux mois de tourments, de pillages et d’incendies pour que l’on fasse le constat d’une production locale insuffisante. La production agricole martiniquaise ne couvre que 20 % des besoins alimentaires, un chiffre bien insuffisant pour assurer l’autonomie alimentaire de l’île.
Le ministre François-Noël Buffet, venu éteindre le feu de la contestation, a même insisté sur la nécessité de structurer des filières agricoles pour améliorer cette autonomie et créer des emplois.
À cette occasion, les problématiques identifiées relèvent de l’indivision trop fréquente des terres utilisables, des charges élevées, des difficultés d’accès aux aides agricoles (seulement 20 à 25 % des producteurs sont concernés), ainsi que du manque d’accompagnement, qui ralentit les installations et le développement des exploitations.
Les objectifs et mesures annoncés incluent la création de filières agricoles durables à partir de 2025, un plan de financement sur trois ans pour stimuler la production et encourager la consommation locale, ainsi qu’une aide “surfacique” (calculée en fonction de la surface exploitée et non de la production), intégrée au programme européen Poséi, afin de soutenir les cultures locales et structurer les prix des produits locaux.
La question de la revalorisation de la petite agriculture ne concerne pas uniquement l’autonomie alimentaire : sont également en cause des enjeux de démographie et d’emploi. L’agriculture pourrait être un levier pour contrer la baisse de la population et dynamiser l’économie locale. Ainsi, une meilleure exploitation des terres en friche et un soutien accru à l’installation d’agriculteurs sont indispensables.
Les perspectives pour 2025 et au-delà sont (sur le papier) encourageantes. Le ministre des Outre-mer, de passage, a promis des avancées significatives grâce à une mission conjointe avec le ministère de l’Agriculture, en mobilisant les aides européennes (Feader) et locales pour accompagner la transition agroécologique.
En effet, la volonté et la résilience des producteurs martiniquais, qui n’ont pas abandonné leur métier malgré le manque de soutien, sont remarquables. Certains ont opté pour l’agroécologie et ont réussi à diversifier leur production grâce à cette approche. Cependant, ils ont besoin de davantage d’aides financières pour pérenniser ce modèle, qui applique les principes écologiques à la gestion des systèmes agricoles, tout en prenant en compte les aspects sociaux et économiques.
Il faut donc diversifier les cultures (végétales et animales) pour améliorer la résilience des écosystèmes agricoles face aux changements climatiques et aux ravageurs. Cela requiert l’utilisation de compost (biomasse, fumier) pour réduire la dépendance aux intrants externes, des rotations de cultures, des cultures de couverture et le non-labour. Il est également essentiel de maintenir des relations bénéfiques entre les espèces, comme en agroforesterie ou par des cultures associées.
Cependant, pour qu’une agriculture soit à la fois vertueuse et efficace, un investissement initial important en termes de temps et de formation est nécessaire. Les rendements peuvent être inférieurs dans les premières années. L’agroécologie n’est pas seulement une méthode agricole, mais aussi un mouvement social et politique qui cherche à transformer les systèmes alimentaires mondiaux, en favorisant des pratiques respectueuses de l’environnement et des personnes. C’est précisément ce dont la Martinique a besoin.
Les enjeux sont suffisamment importants pour que l’on fasse les sacrifices nécessaires afin de trouver les budgets. Peut-être, à l’occasion, devrions-nous envisager collectivement des sacrifices à la hauteur des enjeux, tels que la diminution des personnels des collectivités, ou la réduction de certains postes du budget de la CTM (notamment les programmes de prestige), pour dégager les moyens nécessaires à la formation d’agriculteurs et pour explorer des pistes de réforme foncière. Mais là, comme dirait Kipling, cela fera l’objet d’une autre histoire !
Gérard Dorwling-Carter