Garantir à chaque citoyen, où qu’il vive, un accès équitable à la mobilité et aux services publics. Derrière cette formule, le principe de continuité territoriale devrait s’imposer comme l’un des piliers de la solidarité nationale. Pour la Corse et l’Outre-mer, cette promesse républicaine prend chaque année la forme de dotations destinées à compenser le surcoût des distances et de l’insularité. Mais derrière la mécanique budgétaire, la question de l’efficacité, de la justice et de l’avenir de ces dispositifs reste vive.
Un principe d’égalité confronté aux réalités insulaires
Le principe d’égalité, confronté aux réalités insulaires, vise à réduire les inégalités nées de l’éloignement. Pour la Corse, distante de 170 kilomètres du continent, comme pour les territoires ultramarins, parfois à plus de 9000 kilomètres de Paris, le prix d’un billet d’avion ou de bateau demeure un obstacle majeur. Qu’il s’agisse de raisons familiales, professionnelles ou de santé, la mobilité est un enjeu quotidien. L’Etat intervient pour atténuer cette barrière, grâce à des aides directes ou des subventions aux compagnies de transport, maritimes ou aériennes.
Des mécanismes adaptés à chaque territoire
Les mécanismes sont adaptés à chaque territoire. En Corse, la dotation de continuité territoriale est versée à la Collectivité de Corse, qui la redistribue sous forme d’aides à la mobilité, de billets subventionnés, de soutien au fret ou de compensation des surcoûts pour les entreprises. Les compagnies Corsica Linea, La Méridionale, Air Corsica ou Air France bénéficient aussi de subventions pour assurer un service public régulier entre l’île et le continent.
Outre-mer, la gestion est confiée à LADOM, l’Agence de l’Outre-mer pour la Mobilité. Elle finance les aides au voyage, les retours, les mobilités étudiantes ou professionnelles, et soutient le fret et les liaisons inter-îles. Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna : chaque territoire dispose de dispositifs adaptés à sa situation géographique et sociale.
Des montants en évolution sous tension
En 2023-2024, la Corse a bénéficié d’une enveloppe globale avoisinant 187 millions d’euros, répartis entre les subventions maritimes, aériennes, les aides directes aux résidents et le soutien au fret. Près de 80 000 Corses en bénéficient chaque année. Rapportée à la population de l’île, la dotation représente environ 520 euros par habitant.
Pour l’Outre-mer, la dotation annuelle atteint 50 à 60 millions d’euros, répartis entre les territoires. La Réunion arrive en tête avec 15 à 16 millions d’euros et plus de 30 000 bénéficiaires, suivie de la Guadeloupe et de la Martinique, puis la Guyane, Mayotte, la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna. Au total, près de 110 000 aides individuelles sont attribuées chaque année. En moyenne, la dotation par habitant dans l’ensemble de l’Outre-mer s’établit autour de 75 euros, soit près de sept fois moins qu’en Corse, même si des écarts existent selon les territoires. L’aide au billet d’avion, principale mesure individuelle, varie de 340 à 420 euros par an et par personne en Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion, et jusqu’à 540 euros dans les territoires les plus éloignés.
Accessibilité, équité, mais aussi critiques et attentes
Pour les bénéficiaires, ces aides sont souvent vitales. Elles permettent de maintenir le lien familial, d’accéder à l’emploi ou à la formation, de se soigner. Pourtant, leur efficacité fait débat. Certains dénoncent des montants insuffisants face à l’envolée des prix des transports, d’autres pointent une répartition jugée inéquitable ou un manque de ciblage social. Le coût pour l’Etat, significatif, alimente aussi les discussions budgétaires.
Des perspectives incertaines
La réforme de la continuité territoriale est régulièrement évoquée. Meilleur ciblage social, adaptation des montants à la réalité des prix, encouragement des mobilités durables, développement de l’intermodalité : autant de pistes explorées, mais qui se heurtent aux contraintes budgétaires et à la complexité des situations locales. Les élus insulaires et ultramarins plaident pour une augmentation des dotations, tandis que l’Etat cherche à maîtriser ses dépenses.
Au final, la continuité territoriale demeure un enjeu central pour l’égalité républicaine. Sa pérennité et son adaptation aux défis sociaux, économiques et environnementaux conditionneront la capacité de la France à tenir sa promesse d’unité et de solidarité, jusque dans ses confins insulaires.
Atténuer la vie chère dans l’Outre-mer : un rôle discret
La question de la vie chère dans les territoires ultramarins reste un sujet de préoccupation majeur, régulièrement dénoncé par les habitants et les élus locaux. L’éloignement géographique, l’insularité et la dépendance aux importations expliquent en grande partie des prix plus élevés qu’en métropole, tant pour les biens de consommation courante que pour les services. Dans ce contexte, les dotations de l’Etat au titre de la continuité territoriale, bien que principalement conçues pour faciliter la mobilité, jouent aussi un rôle non négligeable, toutefois insuffisant dans l’atténuation de la vie chère.
Réduire le coût des déplacements
Le prix élevé des voyages, qu’il s’agisse de rejoindre l’Hexagone ou de circuler entre îles, pèse lourdement sur les budgets familiaux.
Soutenir le fret et l’approvisionnement
Les dotations de continuité territoriale incluent des aides au fret, c’est-à-dire au transport de marchandises entre la France et ses territoires insulaires ultramarins. En réduisant le coût d’acheminement des biens de première nécessité, des denrées alimentaires, des matériaux ou des équipements, ces aides contribuent insuffisamment à limiter la répercussion de ces surcoûts sur les prix à la consommation.
Alléger le budget des ménages et soutenir le pouvoir d’achat
En abaissant le coût des déplacements et, dans une moindre mesure, celui des biens importés, les dotations de continuité territoriale laissent davantage de ressources disponibles aux ménages pour d’autres dépenses. Elles représentent une forme de soutien indirect au pouvoir d’achat, jugé insuffisant dans des territoires où les salaires sont inférieurs à la moyenne nationale.
Des effets limités et des pistes d’amélioration
Ces dotations, bien qu’utiles, n’annulent pas l’écart de prix avec la métropole. Les aides au fret, par exemple, ne couvrent qu’une partie des surcoûts et ne concernent pas toujours tous les produits. De même, les aides à la mobilité sont souvent plafonnées et soumises à conditions de ressources. Pour renforcer leur impact sur la vie chère, plusieurs pistes sont évoquées : élargir le champ des aides au fret, mieux cibler les bénéficiaires, renforcer les contrôles sur la répercussion des aides sur les prix finaux, ou encore encourager la production locale pour réduire la dépendance aux importations.
Les dotations de continuité territoriale constituent donc un levier pour atténuer la vie chère dans l’Outre-mer, en agissant sur les coûts de transport des personnes et des marchandises. Elles ne suffisent pas à résorber l’ensemble des surcoûts, ne faisant que contribuer à limiter les écarts et à soutenir le pouvoir d’achat des habitants. Leur adaptation et leur renforcement restent un enjeu central pour répondre aux attentes des populations insulaires et ultramarines.
Sources : Lois de finances 2023 et 2024, LADOM, Collectivité de Corse, rapports parlementaires
Gérard Dorwling-Carter