Article rédigé par
Thomas BaïettoFrance Télévisions
Le réchauffement climatique a beau être un problème mondial, la communauté internationale reste divisée sur les manières d’y faire face. A chaque COP, des groupes de pays aux positions et intérêts opposés se font et se défont. A l’occasion de la COP26 de Glasgow, franceinfo fait les présentations.
Dans la lutte contre le changement climatique, il y a les pays qui traînent des pieds et ceux qui les ont déjà dans l’eau. Ceux qui ont déjà bien profité des énergies fossiles et ceux qui aimeraient en faire autant pour améliorer le niveau de vie de leur population. Alors que la COP26 se déroule du 31 octobre au 12 novembre à Glasgow, les négociations climatiques ont dessiné, depuis la signature de la Convention climat en 1992, de nouveaux “continents” et de nouvelles coalitions sur la carte du monde.https://flo.uri.sh/visualisation/7728102/embed?auto=1
Une première version de cet article comprenait un autre graphique, moins lisible et pouvant entraîner des confusions. Nous l’avons donc modifié.
Une première ligne de partage s’est faite il y a vingt-neuf ans entre les pays industrialisés et les autres, pour acter la responsabilité historique des premiers dans l’émission de gaz à effet de serre (GES), moteurs du réchauffement climatique. Depuis, d’autres clivages sont apparus pour former des “familles” de pays, au gré de leurs intérêts particuliers. Ces alliances sont mouvantes : certains pays figurent dans plusieurs cercles et d’autres peuvent en changer en fonction des sujets négociés. Mais elles donnent un bon aperçu des joutes climatiques actuelles. Franceinfo vous présente les six principales familles des négociations de la COP.
1Les “sceptiques”, ces pays industrialisés peu pressés de réduire leurs émissions
Membres : Australie, Canada, Etats-Unis, Norvège, Russie.
Positions : avec d’autres, ces pays font historiquement partie de l’Umbrella Group*.Ce “groupe parapluie” s’est formé dans la foulée du protocole de Kyoto (1997) pour regrouper les pays industrialisés hors de l’UE. Ses membres se sont toujours prononcés contre le prolongement de ce protocole et contre de nouveaux engagements de réduction dans ce cadre plus contraignant que l’accord de Paris.
Cinq de ces pays “réticents” sont de grands producteurs d’énergies fossiles, dont la combustion est la première cause du réchauffement climatique : le charbon pour l’Australie et les Etats-Unis, le pétrole pour la Norvège et la Russie, le gaz de schiste pour les Etats-Unis, les sables bitumineux pour le Canada ou le gaz pour la Russie.
Aujourd’hui, ils font toujours figure de “mauvais élèves”, avec une action contre le changement climatique jugée insuffisante ou gravement insuffisante par le consortium Climate Action Tracker*. Après avoir enterré le protocole de Kyoto, les Etats-Unis ont failli récidiver avec l’accord de Paris, qu’ils ont momentanément quitté sous l’impulsion de Donald Trump. Le Canada continue de construire des kilomètres de pipelines pour exporter son pétrole non conventionnel, parmi les plus émetteurs de CO2 de la planète. Et l’Australie, qui continue de défendre bec et ongles le charbon, a été affublée par CNN* du titre de nouveau “méchant” de la COP.
2Les “lucides”, ces pays industrialisés qui se veulent exemplaires
Membres : les 27 Etats de l’Union européenne et le Royaume-Uni.
Positions : face aux réticences américaines, l’UE a historiquement pris le leadership des négociations climatiques. “Selon les périodes, elle a pu jouer un rôle moteur dans le processus, poussant pour obtenir des accords plus ambitieux et adoptant de façon unilatérale des objectifs de réduction des émissions à la veille de dates clés”, relèvent les chercheurs Amy Dahan et Stefan Aykut dans leur ouvrage de référenceGouverner le climat (Presses de Sciences Po, 2014). La Communauté économique européenne (CEE), ancêtre de l’UE, est ainsi le seul groupe de pays à avoir signé le protocole de Kyoto. La Commission européenne a, elle, présenté en 2021 un Pacte vert ambitieux pour réduire de 55% ses émissions de CO2 à l’horizon 2030.
Un leadership justifié par l’absence de réserves importantes d’énergies fossiles sur le Vieux Continent (hors charbon dans certains pays et pétrole pour le Royaume-Uni). Promouvoir la transition vers les énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire présente aussi un intérêt géopolitique puisqu’il permet de réduire la dépendance au pétrole des pays du Golfe ou au gaz de Russie.
Les pays européens sont cependant loin d’être aussi exemplaires qu’ils le prétendent. Seule la politique du Royaume-Uni est jugée “presque suffisante” par Climate Action Tracker, même si Londres n’a pas renoncé aux hydrocarbures et pourrait autoriser prochainement l’exploitation du champ pétrolier écossais de Cambo. L’ensemble de l’UE se voit attribuer le commentaire “insuffisant”. L’ONG estime que l’UE n’en fait pas assez pour sortir du charbon et pour financer l’aide aux pays pauvres. Elle juge enfin que les directives européennes ne sont pas toujours appliquées par les Etats membres. Certains pays, comme la Pologne ou l’Allemagne, restent en effet très attachés au charbon, l’énergie fossile la plus émettrice de GES. Même un pays comme la France n’est pas à la hauteur de ses engagements, comme le rappelle régulièrement le Haut Conseil pour le climat.
3Les “réticents”, ces pays émergents qui réclament le droit d’émettre autant que l’Occident
Membres : Afrique du Sud, Brésil, Chine, Inde.
Positions : contrairement aux pays développés, ces quatre pays, dont la montée en puissance s’est faite en même temps que les négociations climatiques, n’étaient pas concernés par les réductions d’émissions dans le cadre du protocole de Kyoto, en vertu du principe des “responsabilités communes mais différenciées”. Ce précepte reste au cœur de leur position, même si la Chine est devenue depuis le premier émetteur mondial de GES. S’il a pu être utilisé de “façon stratégique” par ces pays pour “justifier leur inaction”, ce principe “reflète aussi une conviction sincère selon laquelle, d’un côté, les pays industrialisés sont responsables en priorité de la dégradation de l’environnement global. De l’autre, les pays en développement ont d’autres priorités plus urgentes”, analysent les auteurs de Gouverner le climat.
Ces pays sont d’autant plus réticents à faire des concessions sur leurs émissions que le charbon occupe une place importante dans leur mix énergétique : 57,64% en Chine*, 54,67% en Inde* et 70,61% en Afrique du Sud*. Au Brésil, le mix est meilleur, avec 46,18% de l’énergie primaire générée par les renouvelables (principalement l’hydroélectricité). Mais le géant sud-américain émet énormément de GES en déforestant l’Amazonie (44% des émissions du pays en 2018*).
Aujourd’hui, si la Chine multiplie les déclarations et les promesses ambitieuses, ces pays ne font pas partie des bons élèves. Seule l’action de l’Afrique du Sud est notée “insuffisante” par Climate Action Tracker, quand les trois autres sont notées “très insuffisantes”. Le président chinois, Xi Jinping, ne fera pas le déplacement à Glasgow.
4Les “jusqu’au-boutistes”, ceux qui veulent que rien ne change
Membres : Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Irak, Iran, Koweït, Qatar.
Positions : ces pays font figure de mauvais génies sur la scène climatique, où ils conservent, selon les mots d’Amy Dahan et Stefan Aykut, “une forte capacité de nuire”. “L’Arabie saoudite, en particulier, représente un frein à tout progrès et cherche des compensations au fait que le monde utilisera moins de pétrole dans le futur”, écrivent-ils. En 2015, à Paris, l’Arabie saoudite a tenté, sans succès, d’effacer la mention des 1,5 °C de l’accord. L’Iran n’a tout simplement pas signé le texte.
La position de ces pays est compréhensible. L’exportation de pétrole ou de gaz est la clé de voûte de leur économie et, pour les pays du Golfe, de leur prospérité. Certains, comme l’Irak, sont en outre empêtrés dans des crises militaires et politiques complexes. Si l’Arabie Saoudite a récemment annoncéqu’elle visait la neutralité carbone pour 2060, cette promesse apparaît peu crédible puisque le royaume n’a pas l’intention de diminuer ses exportations pétrolières. Mi-octobre, le géant pétrolier saoudien Aramco avait ainsi affirmé vouloir accroître sa capacité de production quotidienne de 12 à 13 millions de barils d’ici 2027.
5Les “submergés”, ces îles qui réclament une réaction forte et rapide face à la montée des eaux
Membres : 39 pays regroupés au sein de l’alliance des petits Etats insulaires, parmi lesquels les Comores, Cuba, les Fidji ou les Seychelles.
Positions : si les effets du réchauffement climatique se font désormais sentir partout dans le monde, les Etats insulaires, menacés par la montée des eaux, ont historiquement été en première ligne pour réclamer une action forte et rapide de la communauté internationale. Ils se sont rapidement regroupés au sein d’une organisation, l’Aosis*, pour “alliance des petits Etats insulaires”. On leur doit notamment l’intégration dans les négociations de l’objectif des 1,5 °C de réchauffement, mentionné dans l’accord de Paris en 2015.
Ces pays ont aussi en commun d’être dépourvus, à quelques exceptions près comme Cuba, de gisements d’hydrocarbures et d’avoir émis très peu de GES. On trouve parmi eux les pays les moins émetteurs de toute l’histoire, comme l’île Niue (272 287 tonnes contre 410 milliards pour les Etats-Unis) ou Tuvalu (276 527 tonnes), selon les données du site Our World in Data*.
Aujourd’hui, ces pays continuent de pousser à la fois pour une réduction rapide des émissions de GES et pour une augmentation de l’aide aux pays pauvres. Le 16 septembre, dans une déclaration commune*, ils ont appelé “les principaux émetteurs, particulièrement le G20, à stopper toute subvention aux énergies fossiles dès 2023 et à accélérer leurs actions pour une transition vers une économie faible en émissions”.
6Les “vulnérables”, ces pays très menacés malgré leur faible responsabilité
Membres : 48 pays regroupés au sein du groupe des “pays les moins avancés”, parmi lesquels la République centrafricaine, l’Ethiopie, le Népal ou le Sénégal.
Positions : ces pays partagent avec les Etats insulaires – certains, comme Haïti, figurent dans les deux groupes – une grande vulnérabilité au réchauffement et une très faible responsabilité dans cette crise. Ils se sont battus historiquement pour inscrire dans les négociations climatiques le principe d’une aide financière des pays développés. A Copenhague, en 2009, ils ont obtenu un engagement de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 – une promesse non tenue puisque cette aide plafonne autour de 80 milliards – et l’accord de Paris mentionne explicitement ce principe.
En amont de la COP26, ils se sont battus pour assouplir les règles de quarantaine liées au Covid-19* afin de pouvoir se rendre à Glasgow et ont réclamé, à nouveau, des réductions de GES importantes. “Les pays les moins avancés sont les plus affectés par le réchauffement climatique même s’ils ont le moins contribué à le provoquer. Les pays riches avec une grande responsabilité doivent urgemment réduire leurs émissions, et augmenter leur soutien aux pays en développement”, a déclaré leur porte-parole*, avant d’ajouter : “Les financements accordés sont bien inférieurs aux besoins de nos pays et de nos peuples, et ce déficit coûte des vies.”
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