« la lutte contre la vie chère est une priorité absolue des services de l’État en Martinique »
Depuis plusieurs semaines, la Martinique est secouée par une crise sociale autour de la question de la vie chère. Des blocages, des actes de violence et une insécurité croissante ont plongé l’île dans une situation tendue. Le préfet Jean-Christophe Bouvier a pris la parole, mardi 24 septembre, pour exposer les mesures mises en place par l’État et répondre aux interrogations sur l’avenir de la lutte contre la vie chère. Ce discours, suivi de réponses aux questions des journalistes, a permis d’éclaircir le rôle des forces de l’ordre et de préciser les solutions envisagées pour alléger le fardeau financier des Martiniquais.
La vie chère : une priorité nationale
Jean-Christophe Bouvier a rappelé dès le début de son intervention que la lutte contre la vie chère est une priorité pour l’État. Il a insisté sur l’importance de cette thématique, particulièrement pour les services de l’État en Martinique, et a rappelé que de nombreux dispositifs de solidarité nationale avaient été renforcés à l’occasion du Comité Interministériel des Outre-mer (CIOM) de juillet 2023. Les causes de la vie chère en Martinique sont bien connues, a-t-il souligné : l’éloignement géographique, qui entraîne des frais d’approche importants, la dépendance à l’Hexagone pour 80 % des produits consommés, la surcapitalisation de la production locale due à l’étroitesse du marché martiniquais, et une fiscalité complexe, notamment avec l’octroi de mer.
Le préfet a également expliqué que ces différents éléments représentent plus de 90 % du différentiel de prix entre la Martinique et l’Hexagone pour les produits de première nécessité, mettant en lumière la nécessité de réformer certains aspects du système fiscal et de production locale pour réduire les prix.
Une violence sans précédent
Le préfet a décrit l’escalade de la violence qui a accompagné les manifestations contre la vie chère, débutées le 1er septembre. Il a évoqué des scènes de chaos, où des barrages ont rapidement été remplacés par des actes de délinquance :
« En quelques jours, 44 véhicules ont été brûlés, 59 commerces vandalisés, et surtout, 11 policiers et gendarmes blessés. »
Les violences ont pris une ampleur dramatique, avec des coups de feu tirés sur les forces de l’ordre. Un incident particulièrement marquant a eu lieu lorsqu’une balle a frôlé la tête d’un policier à seulement trois mètres de distance, évitant de justesse une tragédie.
Ces actes de violence ne peuvent, selon Jean-Christophe Bouvier, être justifiés par les revendications sociales légitimes sur la vie chère. Ils témoignent plutôt d’une volonté de destruction et d’un désir de profiter de la situation pour semer le chaos. C’est dans ce contexte qu’il a demandé et obtenu des renforts pour rétablir l’ordre.
L’intervention des forces de l’ordre : des CRS8 adaptés à la situation actuelle
Parmi ces renforts, une compagnie de CRS a été déployée pour sécuriser les zones les plus sensibles. Cette décision a suscité des interrogations, notamment en raison du souvenir des interventions des CRS en Martinique lors des événements de 1959. Jean-Christophe Bouvier a tenu à dissiper les malentendus en expliquant clairement que « les circonstances ne sont pas les mêmes, et les CRS non plus ». Les unités présentes aujourd’hui sont formées pour intervenir dans des contextes spécifiques, adaptés aux réalités sécuritaires de l’époque actuelle. Il a insisté sur le fait que leur mission est de sécuriser la population et de protéger les biens et les lieux, et non d’effrayer les citoyens.
Le préfet a également souligné que la présence des forces de l’ordre n’a jamais pour objectif de créer de la peur. « Les forces de l’ordre ne sont pas là pour agresser, elles sont là pour protéger », a-t-il précisé en réponse à une question sur l’éventuelle intimidation que pourrait susciter la présence massive des forces de sécurité dans les rues. Leur rôle est de permettre aux Martiniquais de retrouver une sérénité nécessaire pour se rendre au travail ou poursuivre leur quotidien en toute sécurié.
Un couvre-feu prolongé pour rétablir l’ordre
Face à l’intensité des violences, le préfet a pris la décision de prolonger le couvre-feu instauré dans les quartiers les plus touchés, notamment à Sainte-Thérèse, où la situation a été particulièrement tendue. Le couvre-feu, étendu jusqu’au jeudi 26 septembre, permet aux forces de sécurité de mieux contrôler les mouvements dans les zones sensibles et d’assurer la sécurité de la population. Les renforts policiers continueront de patrouiller dans les zones à risque jusqu’à ce que la situation soit totalement rétablie.
Cette mesure de couvre-feu est accompagnée d’une surveillance accrue des quartiers, et elle a déjà porté ses fruits, selon le préfet. « Depuis l’instauration du couvre-feu, les deux dernières nuits ont été calmes, et nous n’avons enregistré qu’un seul barrage, qui a été levé immédiatement », a-t-il déclaré
Les solutions pour baisser les prix
Bien que la priorité immédiate soit de rétablir l’ordre, le préfet a rappelé que le problème central reste la vie chère, et des solutions sont en cours de discussion. Plusieurs axes d’effort ont été identifiés lors des deux premières tables rondes :
- Réduction des frais d’approche : Selon le préfet, 67 % du différentiel de prix entre la Martinique et l’Hexagone est lié aux frais d’approche. Une des solutions envisagées est de permettre à la Martinique de bénéficier des « prix export », habituellement réservés aux territoires étrangers, ce qui permettrait de réduire ces coûts de 15 à 25 %. Jean-Christophe Bouvier a précisé que des négociations étaient en cours avec les centrales d’achat pour appliquer cette mesure.
- Réforme de l’octroi de mer : L’octroi de mer, une taxe spécifique à l’outre-mer, est perçue comme un facteur aggravant des prix élevés en Martinique. Le préfet a évoqué une réforme possible de cet impôt pour qu’il soit mieux adapté à la réalité locale. Il a également souligné l’importance de rendre cette taxe plus visible sur les produits, afin que les consommateurs puissent comprendre son impact sur les prix.
- Promotion de la production locale : Jean-Christophe Bouvier a mis en avant l’importance de développer l’autonomie alimentaire et la production locale pour réduire la dépendance aux importations et créer des emplois. Il a cité l’exemple de La Réunion, où une suppression partielle de certaines taxes a permis de renforcer la production locale. Il a précisé que cette mesure pourrait être expérimentée en Martinique, à condition que les filières locales soient suffisamment structurées.
L’importance de la transparence et du contrôle
Enfin, le préfet a insisté sur la nécessité de contrôler les marges des distributeurs et de garantir que toute baisse des prix soit effectivement répercutée jusqu’au consommateur final. Il a rappelé que l’État dispose des moyens pour surveiller la formation des prix, avec des contrôles réguliers et des sanctions en cas de fraude. « Nous avons réalisé plus de 500 contrôles en 2024 pour vérifier la légalité des prix et des marges. Si des baisses de coûts sont décidées, nous mettrons en place des moyens supplémentaires pour nous assurer qu’elles soient répercutées sur les prix à la consommation », a-t-il expliqué.
Le discours du préfet Jean-Christophe Bouvier témoigne de la complexité de la situation en Martinique. Entre une crise sociale marquée par des violences inédites et des discussions sur la réduction de la vie chère, les solutions ne viendront pas du jour au lendemain. Cependant, les actions mises en place, tant sur le plan sécuritaire que sur celui des réformes économiques, montrent une volonté de l’État d’agir rapidement et efficacement. La priorité immédiate reste de rétablir l’ordre et la sécurité pour permettre la poursuite des discussions et des réformes nécessaires afin de soulager le fardeau économique des Martiniquais.