Je viens de rentrer en Suède et suis horrifié par sa gestion du Covid-19

Elle a choisi de traiter la pandémie avec un mépris pour le reste du monde qui la caractérise peut-être mieux qu’on ne le pense. Parole de Suédois.
Toutefois, la réponse de la Suède à la pandémie de Covid-19 a quelque peu terni la belle image dont elle jouissait. Ces dernières semaines, le monde a ainsi pu observer comment l’agence de la santé publique suédoise a choisi d’ignorer en grande partie le consensus scientifique qui s’est fait internationalement sur la réponse la plus efficace à apporter au Covid-19: la distanciation sociale. La Suède est le seul membre du groupe des pays les plus développés à avoir opté pour un laisser-faire presque complet face à la pandémie.
Je suis Suédois, mais j’ai passé ces dix dernières années aux États-Unis. Récemment, toutefois, je suis retourné dans mon pays et je dois avouer avoir beaucoup de mal à comprendre la position incroyablement imprudente et arrogante de mon pays, même si cette réaction n’était pas totalement imprévisible. Cette approche problématique qu’a choisie la Suède face au Covid-19 a plusieurs niveaux
Prise de conscience tardive
Tout d’abord, il reste très difficile d’être testé·e pour le Covid-19, qu’il s’agisse de tests PCR ou sérologiques. La Folkhälsomyndigheten, agence de la santé publique suédoise, a restreint les priorités de tests aux personnes hospitalisées, aux personnels soignants et aux personnes s’occupant de personnes âgées si elles sont «soupçonnées d’être porteuses du Covid-19». Selon l’agence, les individus présentant des symptômes de Covid-19 ne sont pas prioritaires pour les tests tant qu’ils ne sont pas hospitalisés, pas plus que les soignant·es ne présentant pas de symptômes du Covid-19.
De la même manière, le port de masques, de gants ou d’autres protections en public n’est pas recommandé. Les gens qui portent des masques sont regardés de travers et la plupart des aspects de la vie publique restent accessibles, à l’exception de quelques grosses réunions publiques (les manifestations publiques de plus de cinquante personnes ont été interdites et les premières fermetures d’établissements nocturnes pour non-respect de la distanciation sociale n’ont eu lieu que ces derniers jours). Le fait que le Covid-19 puisse être transmis par des porteurs et porteuses asymptomatiques, ce qui a été établi il y a des mois, n’a été accepté que récemment et à contrecœur par l’agence de la santé publique. Auparavant, celle-ci niait qu’il pouvait s’agir d’un facteur de transmission, même s’il y avait un consensus international pour dire que c’était en partie à cela qu’était due la pandémie.
Au moment même où les États-Unis et la majeure partie de l’Europe renforçaient leurs restrictions, les bars suédois se voyaient autorisés à ouvrir leurs patios extérieurs plus tôt que d’habitude. À quelques rares exceptions près, les bars, les cafés, les restaurants, les clubs et les magasins restent ouverts. Le nombre de morts du Covid-19 par habitant en Suède compte parmi les plus élevés au monde. Il dépasse celui des États-Unis et, surtout, il est près de six fois plus élevé que ceux de certains de nos voisins scandinaves. Lors de la rédaction de ce texte, la Suède s’approchait d’un total de 2.500 morts du Covid-19, soit plus que dans chaque État américain pris individuellement (à l’exception de quatre).
Différences déconcertantes
Dans l’ensemble, les Suédois·es (beaucoup sont des progressistes qui défendent avec passion les droits humains, l’immigration, le féminisme, l’égalitarisme, et la star locale du militantisme écologique Greta Thunberg) soutiennent cette politique qui a conduit à de très nombreuses morts.
Comme l’ont montré les données de géolocalisation anonymisées fournies par Google, la population suédoise est en Europe celle qui a le moins changé ses habitudes à des fins de distanciation sociale. Lorsque je suis arrivé en Suède depuis Los Angeles le mois dernier (un voyage obligatoire que j’ai réalisé vêtu d’un masque, de gants et d’un ersatz de combinaison Hazmat n’étant pas sans rappeler celle des Beastie Boys dans «Intergalactic»), j’ai eu l’impression de débarquer dans un univers parallèle: aucun contrôle d’aucune sorte, aucune brochure sur les précautions à prendre contre le Covid-19… c’était comme si le virus n’avait jamais quitté la ville chinoise de Wuhan.
Lors du trajet jusqu’à mon appartement de Stockholm, j’ai rapidement remarqué à quel point les choses paraissaient normales pour cette période de l’année. Le printemps –ce moment où les Suédois·es tentent de se remettre de la longue période hivernale en s’exposant compulsivement le visage au soleil, les yeux fermés– semblait plus normal que jamais. Je n’ai vu personne qui semblait se préoccuper de distanciation sociale. Les cafés étaient pleins à craquer et les gens pique-niquaient dans les parcs, assis à plusieurs sur une même couverture. Durant les premières heures de mon retour à Stockholm, j’ai vu plus de poignées de mains et d’embrassades que je n’en avais vu en deux mois à Los Angeles (où je n’en avais vu aucune, il faut dire).
Après avoir passé cette dernière décennie à travailler à San Francisco et Los Angeles en tant que journaliste culturel et producteur TV, j’ai choisi de revenir temporairement en Suède pour m’occuper de ma grand-mère, 71 ans, durant cette période difficile (en tenant compte de toutes les mesures de précaution internationalement recommandées et plus encore). Être témoin de telles différences entre mon pays natal et mon pays d’adoption était extrêmement déconcertant et cela m’a mis en colère.
Irresponsabilité
Il y a plusieurs explications à cette approche si particulière qu’a choisie la Suède, mais les principales tournent (je pense) autour d’une culture de la conformité et de l’entretien d’une image d’exception nationale. Avant mon retour, l’expression «Nous ne faisons que suivre les recommandations»revenait déjà sans cesse depuis deux mois dans la bouche de mes amis suédois. Susan Sontag a ainsi décrit cette tendance à la conformité: «Dès que cela est possible, les situations et les mots sont pris au pied de la lettre.» Souvent, cela implique d’écouter les conseils que dispensent les spécialistes pour le bien général.
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