Emmanuel de Reynal, sur son blog Laisse-moi te dire, a publié un article intitulé : « Non, ce n’est pas la grande distribution qui “étouffe” la Martinique ! ». Son analyse sur la question de la cherté de la vie est, comme le laisse entendre le titre de son article, excessivement tranchée. Procédons à la relecture de ce texte.
La question du coût de la vie en Martinique est un sujet de préoccupation majeur. Les prix élevés y sont une réalité, mais quelles en sont les véritables causes ? La grande distribution est régulièrement pointée du doigt, accusée de pratiquer des marges excessives et d’exploiter les consommateurs. Mais ces critiques sont-elles fondées ?
Des Marges Vraiment Excessives ?
L’un des arguments souvent avancés est que la grande distribution en Martinique applique des marges beaucoup plus élevées qu’en France hexagonale. Pourtant, lors des tables rondes sur la vie chère en octobre 2024, il a été révélé que la marge moyenne y est de 24 %, contre 22,9 % en France métropolitaine. Cet écart, relativement faible, pourrait-il s’expliquer par des contraintes spécifiques à l’île plutôt que par une volonté de maximisation des profits ?
Et l’on peut aussi se demander pourquoi des politiques ayant participé à ces tables rondes reprennent cet argumentaire fondé sur les « marges excessives » sans avoir contredit la grande distribution sur ce point fondamental.
Des Contraintes Logistiques et Structurelles Inévitables
L’insularité entraîne des coûts supplémentaires importants. L’acheminement des produits impose des stocks plus importants et des surfaces de stockage plus grandes. Par ailleurs, la construction des infrastructures commerciales doit répondre à des normes strictes en raison des risques cycloniques et sismiques, ce qui augmente les coûts. Ces facteurs influencent-ils davantage les prix que les stratégies des distributeurs ?
Et aussi, le facteur évoqué d’une intégration verticale de la chaîne d’approvisionnement dans l’augmentation du prix de revient viendrait-il à disparaître si cette organisation laissait place à des intervenants indépendants des distributeurs ?
L’Impact des Taxes et du Transport
L’octroi de mer, une taxe locale sur les produits importés, peut dépasser 20 % du prix d’un produit. De plus, le transport représente une part significative du coût final : par exemple, le fret pour un conteneur d’eau minérale peut coûter presque deux fois la valeur de la marchandise transportée.
Ces éléments sont-ils pris en compte de manière suffisante dans le débat sur la cherté de la vie ? Pour l’instant, il n’y a pas de réponse, et surtout aucune proposition pour changer cet état de fait et imposer une péréquation juste et équitable.
Des enquêtes qui ne valident pas les accusations
L’Autorité de la concurrence a mené plusieurs investigations, notamment en 2009 et 2019, et n’a pas identifié de marges abusives dans la grande distribution locale. Pourtant, la perception d’une exploitation des consommateurs persiste.
Ce décalage entre perception et réalité ne mériterait-il pas une analyse plus approfondie ?
Cela voudrait-il dire que les services de l’État, les mêmes qui viennent de condamner Air Caraïbes et Air Antilles à de colossales pénalités pour entente illicite, seraient complices de la grande distribution ?
Plutôt que des accusations, quelles solutions ?
Si la grande distribution n’est pas la principale responsable de la vie chère, quelles autres pistes devraient être explorées ?
- Comment réduire les coûts d’acheminement et optimiser la logistique ?
- Comment ajuster la fiscalité pour éviter un poids excessif des taxes sur les prix ?
- Comment encourager le développement de la production locale pour limiter la dépendance aux importations ?
- Comment améliorer l’efficacité des services publics, qui peuvent générer des coûts indirects pour les entreprises et les consommateurs ?
- Faut-il envisager très sérieusement des dispositifs comme une zone franche sociale ou une meilleure continuité territoriale avec l’Hexagone ?
Vers Un Débat Plus Constructif
La critique de la grande distribution semble parfois occulter des enjeux plus profonds, liés à la structure économique et aux spécificités insulaires de la Martinique.
Faut-il revoir les termes du débat pour mieux cibler les véritables leviers d’action ?
Plutôt que de chercher un coupable unique, ne serait-il pas plus efficace de travailler sur des réformes globales pour réduire durablement le coût de la vie ?
Pour l’instant, la France est dans une parenthèse politique et, localement, la moindre critique provoque une avalanche d’insultes et de mépris. Nos enfants étudiants, nos jeunes cadres excessivement diplômés ne reviennent pas dans leur pays pour se retrouver dans ce climat délétère et inhospitalier.
Gérard Dorwling-Carter