Quand on achète un produit, qu’on le veuille ou non, on achète le monde qui va avec. Voyons un peu ce que cette sage maxime implique en ce qui concerne les avocats.
[EN VIDÉO] La déforestation se poursuit à un rythme alarmant Plus de 43 millions d’hectares ont été perdus entre 2004 et 2017 selon un rapport du WWF ; l’équivalent des deux tiers de la surface de la France.
Voilà un fruit originaire du Mexique et d’Amérique centrale, et qui a toujours été fortement consommé sur place sous de nombreuses formes. Jusqu’à il y a quelques années, on en trouvait très peu en Europe vu les difficultés de conservation de ce produit éminemment tropical (tout comme la mangue, autre fruit vraiment excellent et vraiment tropical).
Une explosion de la demande mondiale
Et puis soudain, il est devenu à la mode, en particulier aux États-Unis, ce qui est assez logique vu le nombre de personnes d’origine mexicaine qui y résident, mais aussi en Europe, et tout particulièrement en France, pays des gastronomes. Les grands cuisiniers et les diététiciens ont commencé à en dire le plus grand bien. Il est bourré de vitamines et serait bon pour le transit intestinal, le cœur, la vue, les femmes enceintes, et permettrait de lutter contre le cholestérol, le cancer, les douleurs des règles, etc. En moyenne, un foyer français en mange dorénavant trois kilos par an.
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L’avocat est devenu le 6e fruit le plus consommé au monde
La demande mondiale a explosé ; la production aussi, qui est passée 3,7 millions de tonnes en 2010 à 7,2 millions de tonnes en 2019 ! L’avocat est devenu le 6e fruit le plus consommé au monde derrière la banane, le raisin, la pomme, l’orange et l’amande. L’avocatier est un arbre du tropique humide qui nécessite énormément d’eau pour pousser.
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Le Mexique, de loin le premier producteur mondial
Le Mexique a bien entendu tenté de conserver son avantage sur cette production ; il reste de très loin le plus gros pays producteur mondial et représente à lui tout seul à peu près le tiers de la production mondiale ; elle a doublé depuis 2010, passant de 1,1 à 2,3 millions de tonnes, ce qui lui génère plus de 2 milliards de dollars de revenus.
Les autres gros producteurs sont aussi latino-américains : République dominicaine, Pérou, Colombie, mais ils produisent beaucoup moins. En dehors de l’Amérique latine, deux pays ont réussi à s’insérer significativement sur ce marché mondial, l’Indonésie et le Kenya, mais avec des quantités qui restent modestes par rapport à celles du Mexique. D’autres tentent le coup, mais avec des quantités pour le moment nettement moins significatives, en particulier le Chili, Israël, l’Éthiopie, l’Espagne, le Malawi, l’Afrique du Sud.
Cultiver l’avocatier dans les pays secs est une aberration
Des pays ensoleillés mais arides s’y sont donc mis pour tenter de profiter de cette manne. Cela y provoque de nombreux conflits locaux pour l’accès à l’eau, car l’avocatier est un arbre des tropiques humides qui a besoin d’énormément d’eau pour pousser, et que, quand elle ne tombe pas naturellement du ciel, il faut irriguer abondamment. On estime qu’il faut de mille à deux mille litres d’eau par kilo d’avocat (contre environ 200 pour les tomateset 150 pour la salade), et un hectare qui en produit 7 tonnes par an doit donc y recevoir de l’ordre de 10.000 tonnes d’eau par an !
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L’avocat a besoin de cinq fois plus d’eau que la tomate. © Barmalini, Adobe stock
C’est ainsi que les 10.000 hectares plantés en avocatiers et manguiers en Andalousie font carrément peser le risque d’un « effondrement hydrologique » de la région, malgré des techniques sophistiquées de paillage et de gestion économe de l’eau. L’idée du circuit court qui pourrait amener à préférer l’avocat d’Espagne à celui du Mexique se heurte au bon sens agronomique : c’est une hérésie de consommer des fruits issus de l’implantation d’arbres des tropiques humides sur des terres arides, à la place des cultures plus naturelles d’oliviers et de vignes qui s’y trouvaient auparavant ! Notons que ce n’est pas le cas lorsqu’on arrive à y acclimater des plantes moins gourmandes en eau comme le kiwi…
Donc, au sens strict, quand on se met à consommer beaucoup plus d’avocats, c’est évidemment très bon pour le goût et le moral, et probablement notre santé physique, mais… on contribue activement à transformer le sud de l’Espagne en désert… ou bien on consolide la structure sociale du Mexique qui va avec !
Le Mexique et les avocats : violences et pesticides
C’est une grande erreur de penser que le monde est conforme à nos rêves et nos espoirs ; quand on parle de millions de tonnes d’un seul produit, on a forcément affaire à une production complètement industrielle, et conforme à la situation écologique, politique, économique et sociale du pays producteur.
C’est ce qui se passe par exemple pour l’amande, qui est un produit devenu très à la mode (notamment à cause du lait d’amande jugé par beaucoup plus sain que le lait de vache), et dont 80 % de la production mondiale est située en Californie. Cela provoque dans cette région d’énormes pénuries d’eau et une véritable hécatombe des abeilles, car on transporte environ trois millions de ruches chaque année sur des milliers de kilomètres pour réussir à polliniser les arbres dans un temps très court. Sans compter de fort excès de pesticides, logiques dans une situation de monoculture.
Monoculture + chaleur tropicale + état défaillant = abus de pesticides. © Hugoalejandro, Adobe stock
Dans le cas de l’avocat, que se passe-t-il au Mexique ? Ce pays est littéralement gangrené par la violence et la mise à sac imposée par les cartels de la drogue… et en particulier dans les états de Michoacan et de Jalisco, où se concentre la production. Il y a des milliards de dollars à gagner et bien évidemment ça ne peut pas laisser indifférents lesdits cartels, qui ont besoin de diversifier leurs revenus et de blanchir leur argent sale. De plus, leurs revenus baissent en raison de la dégringolade du cours du pavot due à la hausse de la production d’opioïdes de synthèse. Dans le même temps, le prix de l’avocat a explosé, à tel point que beaucoup de Mexicains ne peuvent plus en consommer ! Cet or vert occupe maintenant une place centrale dans les économies du crime organisé.
Les « narcos » se sont donc lancés dans l’accaparement violent des terres, au détriment des paysans qui habitaient sur place, et de la biodiversitéde la forêt tropicale (on estime à au moins 15.000 hectares la superficie des plantations illégales).
La violence devient omniprésente : devant la carencedes autorités, les paysans s’arment à leur tour pour se protéger et les grandes exploitations se dotent de gardes armés. On ne compte plus les extorsions mensuelles en fonction des surfaces cultivées et dont les manquements sont parfois punis de mort, les vols de camions, les règlements de compte et même les tueries de masse…
De plus, inutile de dire que le respect des prescriptions sanitaires n’est pas leur premier souci. Or, dans cette atmosphère de tropique humide, la monoculture arboricole attire fortement les insectesprédateurs et les maladies ; donc ces arbres sont abondamment arrosés de pesticides, qui ne sont évidemment pas tous homologués ! Les problèmes d’empoisonnement concernent essentiellement les populations locales (ce qui est aussi une manière de les faire dégager), mais, malgré la barrière très importante due à la peau épaisse de l’avocat, il est difficile de garantir qu’il n’y a jamais de traces de ces pesticides dans la chair des avocats que nous mangeons…
Des transports fort polluants
De plus, il s’agit de produits fragiles et périssables, récoltés encore durs, que l’on doit maintenant faire voyager en camion sur des centaines de kilomètres viades pistes approximatives, puis en bateau sur des milliers de kilomètres, et encore en camions en Europe. C’est déjà ça, vu les quantités concernées, on a largement abandonné l’avion.
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On est très loin du fruit cueilli mûr sur l’arbre et mangé frais !
Mais il faut maintenir une température de 6 °C pendant les 26 jours de transport en bateau, et consommer beaucoup d’emballages, car ce fruit est relativement fragile. À l’arrivée en Europe, il passe une à deux semaines en « mûrisserie » où l’on augmente progressivement la température et on les met dans une atmosphère chargée en éthylène pour accélérer le processus. Tout cela a un coût environnemental non négligeable : on est très loin du fruit cueilli mûr sur l’arbre et mangé frais !
Beaucoup d’emballages, plein de transports en camions, 26 jours de bateau à 6 °C, deux semaines en « mûrisserie », il y a loin de l’arbre à l’assiette ! © Sandid, Pixabay, DP
Une fois que l’on a compris cela, il devient plus délicat de se souhaiter « buen provecho » et de se régaler… en consommateur éclairé et solidaire, si c’est encore possible ! Rappelons que les fruits et légumes locaux et de saison restent toujours une option valable, encore plus s’ils sont responsables, voire bio…