Cette interview de Bernard Hayot, met en lumière une figure économique majeure, souvent critiquée pour son influence dans un contexte martiniquais marqué par des débats sur la vie chère, la concentration économique, le tout comme à l’accoutumée panaché de relents d’histoire mal digérée.
Bernard Hayot justifie son silence médiatique par une philosophie personnelle : « Le bruit ne fait pas de bien, le bien ne fait pas de bruit. »
Il souligne toutefois son engagement ancien dans des activités collectives, telles que la Jeune Chambre Économique de la Martinique ou la création de l’AMPI (Association des Moyennes et Petites Industries), visant à promouvoir la production locale. Avec sérénité, il reconnaît que sa réussite économique attire une attention parfois exacerbée dans une petite société insulaire où les réseaux sociaux amplifient les critiques. Il dénonce des attaques diffamatoires, souvent anonymes, tout en affirmant bénéficier du soutien et de la confiance d’une large partie des Martiniquais, ce qui lui permet certainement de supporter le bashing dont il est l’objet.
Pour la première fois, Bernard Hayot dévoile les clés de l’expansion internationale de son groupe : la nécessité d’une croissance continue pour stimuler les équipes et la capacité à reproduire un métier sur d’autres territoires afin de s’améliorer. Partant de la Martinique, son groupe s’est d’abord implanté dans les Outre-mer (Guadeloupe, Guyane, La Réunion) avant de s’ouvrir à l’international.
Avec une certaine fierté, il rappelle que son parcours entrepreneurial est profondément martiniquais. Né au François, il débute modestement dans l’élevage de poulets (Bamy) en 1960, sans fortune. Rapidement, il choisit de diversifier ses activités pour réduire les risques, une stratégie qui a conduit à l’expansion du groupe et à une réussite que certains lui reprochent aujourd’hui. Il explique que son ascension repose sur une diversification réfléchie et une stratégie de développement partant de la production locale pour conquérir des marchés internationaux.
Bernard Hayot revendique avec fierté s’être « fait lui-même », tout en restant conscient de la fragilité des entreprises dans un contexte économique mondial instable. Il souligne la nécessité d’innover et de s’adapter aux mutations économiques, notamment face à la concurrence croissante du commerce en ligne. Il précise d’ailleurs qu’en quarante ans, il n’a créé qu’un seul hypermarché (Génipa), les autres (Carrefour du Robert et Cluny) étant des enseignes en difficulté qu’il a reprise. Réussissant là où d’autres avaient échoué …
Dans cet entretien, il insiste sur les défis du secteur de la grande distribution, exigeant professionnalisme et adaptation constante pour satisfaire les consommateurs. Il réfute fermement les accusations de marges abusives, affirmant que les marges pratiquées en Martinique sont comparables à celles de l’Hexagone. Sur ce point, les investigations des services de l’État devraient corroborer ses affirmations.
Bernard Hayot dit soutenir la production locale pour développer l’économie et l’emploi, même si cela ne garantit pas toujours des coûts inférieurs par rapport aux importations. Il défend l’octroi de mer, qu’il juge essentiel pour protéger la production locale.
Le groupe GBH, d’origine martiniquaise, est aujourd’hui un acteur international avec un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros, 18 000 collaborateurs dans 19 pays. Malgré cette réussite, il rappelle avec réalisme que nul n’est à l’abri des crises. Il met en avant l’importance de l’agilité et d’une croissance progressive, construite sur 60 ans. Attaché à sa terre natale, il maintient le siège social en Martinique et favorise les talents locaux, en investissant dans la formation à travers des programmes pour les jeunes éloignés de l’emploi, ainsi que des partenariats avec des écoles et lycées en Martinique, Guadeloupe, Guyane et La Réunion. Retenir les jeunes dans les territoires reste, pour lui, un défi majeur.
Dans cet entretien « à cœur ouvert », Bernard Hayot partage également sa vision pour la Martinique. Il plaide pour un tourisme valorisant la culture, le patrimoine et l’agriculture, inspiré par le modèle écossais du whisky. Il souhaite la création de festivals culturels d’envergure, des hôtels de qualité et la restauration des édifices historiques. Il rêve d’une île embellie, avec des espaces fleuris, des façades harmonieuses, un développement nautique et une meilleure mise en valeur du patrimoine mondial reconnu par l’UNESCO, comme Saint-Pierre et la montagne Pelée.
Au cours de cette discussion, Bernard Hayot a évoqué avec émotion Aimé Césaire – nous dit Philippe Pied – Aimé Césaire, que Bernard Hayot décrit comme un homme exceptionnel, humaniste et rebelle. “Césaire”, explique-t-il, “faisait la part de l’histoire sans la réécrire et croyait profondément en une société martiniquaise inclusive”.
Leur relation, basée sur la confiance et la bienveillance, lui inspire un rêve d’une Martinique unie et fraternelle. D’un monde économique aux côtés des politiques pour faire avancer le pays.
Ces propos, émanant d’un homme d’expérience, susciteront sans doute des critiques diverses. Toutefois, beaucoup d’Antillais sauront tirer parti des conseils d’un homme qui a, enfin, accepté de parler à ses compatriotes avec humilité, de jouer le jeu en quelque sorte…
Gérard Dorwling-Carter.