Depuis leur création en 1994, les dispositifs d’exonération de cotisations sociales patronales dans les territoires ultramarins ont constitué un levier de soutien à l’emploi privé. Ils visent à compenser les surcoûts structurels que subissent les entreprises ultramarines en raison de l’insularité, de l’éloignement géographique et de la faible productivité. Mais après trois décennies d’existence et plus d’un milliard et demi d’euros dépensés chaque année, leur efficacité fait l’objet d’une remise en question croissante. Le rapport IGF-IGAS de novembre 2024 conduit une évaluation approfondie de ces exonérations (Lodéom et Lopom), en analysant leurs effets réels sur l’emploi, les salaires et la rentabilité des entreprises.
Une complexité systémique et des coûts en hausse
Les dispositifs Lodéom s’appliquent dans les DROM (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion) et certaines COM (Saint-Martin, Saint-Barthélemy), avec trois barèmes distincts (compétitivité, compétitivité renforcée, innovation et croissance). En 2023, ces exonérations ont coûte 1,5 milliard d’euros, soit une hausse de 33,6 % par rapport à 2019. Le régime apparaît plus avantageux que les allégements généraux hexagonaux, avec un avantage différentiel estimé à 694 millions d’euros.
Cependant, la complexité du dispositif, due à l’enchevêtrement de réformes et à une multiplication de critères d’éligibilité, nuit à sa lisibilité. Les entreprises locales comme les acteurs étrangers s’y perdent, et les caisses générales de Sécurité sociale (CGSS) rencontrent de grandes difficultés de contrôle. Certaines exonérations reposent sur des critères sectoriels flous ou mal appliqués, notamment dans le barème innovation et croissance.
Des effets économiques limités voire nuls
La mission a évalué l’impact des exonérations Lodéom à partir de la réforme de 2019, qui a refondu les barèmes pour compenser la suppression du CICE. Les résultats économétriques sont sans appel : les effets sur l’emploi sont très limités, voire nuls, sauf pour certaines très petites entreprises (2 à 11 salariés) qui auraient été négativement affectées par les changements de barèmes. Aucun effet significatif n’est observé sur les salaires ni sur la rentabilité des entreprises.
Le rapport souligne que le coût du travail en outre-mer est élevé du fait de la faible productivité et de la pression salariale induite par le secteur public. Toutefois, les entreprises ultramarines présentent paradoxalement des taux de marge plus élevés que celles de l’Hexagone, et les exonérations n’ont pas permis d’améliorer durablement leur compétitivité.
Une réforme urgente vers plus de cohérence et de lisibilité
Le rapport formule neuf recommandations, dont la suppression du barème “innovation et croissance”, jugé inefficace, et l’harmonisation des barèmes entre les territoires. Il propose une refonte structurelle : un unique barème avec exonération maximale jusqu’à 1,2 ou 1,3 SMIC, puis un taux dégressif jusqu’à 2,5 SMIC. Cette mesure permettrait de mieux cibler les bas salaires, tout en simplifiant le dispositif et en le rendant plus lisible.
Pour être efficace, cette refonte doit s’inscrire dans une politique globale de développement des territoires ultramarins : infrastructures, compétences, coopération régionale, diversification productive. Le rapport prône une concertation avec les acteurs locaux, notamment dans un contexte de vives tensions sociales comme en Martinique.
Réorienter le soutien à l’emploi outre-mer
Ce rapport IGF-IGAS met en lumière le caractère indispensable mais insuffisant des exonérations Lodéom. Utiles pour amortir les surcoûts, elles ne sauraient à elles seules régler les fragilités économiques structurelles des Outre-mer. Leurs coûts croissants imposent une réflexion sur leur efficience et leur ciblage. Le temps est venu d’une rationalisation éclairée, à la fois budgétaire et politique, pour que les exonérations sociales soient un véritable levier de transformation et non un simple amortisseur d’inégalités.
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