Les députés ont notamment décidé de classer les logements énergivores comme indécents afin d’interdire leur location, une mesure en « trompe-l’œil » et une « duperie », selon l’opposition.
C’est un sujet crucial, qui permet de mener de front la lutte contre la crise climatique et celle pour la justice sociale. Lundi 12 avril, les députés ont voté l’essentiel des articles consacrés à la rénovation énergétique des logements dans le projet de loi Climat et résilience, débattant tout particulièrement de l’épineuse question de l’éradication des passoires thermiques – ces 4,8 millions de logements énergivores. But affiché : mettre fin à la précarité énergétique et accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre, alors que le bâtiment fait partie des quatre secteurs les plus émetteurs en France.
« Il s’agit d’un enjeu majeur de notre siècle, un devoir écologique autant qu’un impératif social », a estimé la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili. Pourtant, la France a accumulé un retard important, alors que le rythme des rénovations est très insuffisant, de même que leur efficacité.
Pour tenter d’accélérer la cadence, les députés ont d’abord voté l’interdiction de la hausse des loyers des passoires thermiques – les logements étiquetés F et G dans le diagnostic de performance énergétique (DPE) –, qui prendra effet un an après la promulgation de la loi. Ils ont ensuite décidé de les classer comme logements indécents, à partir de 2025 pour ceux classés G, et de 2028 pour les F. Une mesure qui sera élargie en 2034 aux logements E, par le biais d’un amendement du rapporteur Mickaël Nogal (La République en marche, LRM, Haute-Garonne).
« Critères de décence »
Pour le gouvernement, cette « avancée majeure et inédite » revient à une interdiction en bonne et due forme de la location des passoires thermiques en 2028, puis de celle des logements E, soit 4,4 millions de logements au total. « Le propriétaire a une obligation de louer un logement qui respecte les critères de décence. Si ce n’est pas le cas, le locataire pourra en appeler à la responsabilité du bailleur, d’abord à travers un mécanisme de conciliation puis devant le juge », a affirmé la ministre déléguée au logement, Emmanuelle Wargon.
Une « interdiction en trompe-l’œil », a dénoncé Vincent Descœur (Les Républicains, Cantal), tandis que Guillaume Garot (Parti socialiste, Mayenne) fustigeait une « forme de duperie ». « Pensez-vous que quelqu’un qui croupit dans son logement insalubre va se tourner vers un juge ? Cela n’arrive jamais », a lancé le socialiste.
« Les marchands de sommeil ont encore de beaux jours devant eux », a abondé François Pupponi (MoDem, Val-d’Oise), évoquant les personnes en situation irrégulière qui ne se retourneront pas contre leur propriétaire. Tous les amendements pour « interdire clairement la location des passoires thermiques »,ont été rejetés, a estimé Loïc Prud’homme (La France insoumise, Gironde).
S’il crée une contrainte pour une partie des propriétaires bailleurs, le gouvernement a refusé d’obliger tous les propriétaires à rénover leur logement en échange de soutiens financiers, l’une des propositions phares de la convention citoyenne pour le climat – dont est issu le projet de loi Climat et résilience. Il assure que les autres propriétaires engageront des travaux grâce aux incitations.
La question des rénovations performantes
Pour cela, les députés ont voté plusieurs mesures du rapport rendu mi-mars par Olivier Sichel, le directeur de la Banque des territoires : d’abord la mise en place d’un accompagnement, un service public ou privé, agréé par l’Etat, qui suivrait le ménage de A à Z, ferait toutes les démarches à sa place et pourrait également superviser les travaux. Ensuite, la garantie partielle de l’Etat pour les « prêts avance mutation », qui permettrait à des foyers âgés, modestes ou peu solvables d’avoir accès à un prêt bancaire et de le rembourser lors de la revente du bien ou lors de la succession.
La définition des rénovations performantes a toutefois créé de fortes oppositions et inquiétudes des députés de tous les bords. Ces rénovations sont essentielles pour atteindre les objectifs de la France d’un parc de logements au niveau« bâtiment basse consommation » (BBC) d’ici à 2050 – équivalent aux étiquettes A et B du DPE. Elles doivent désormais remplir trois critères : un gain d’au moins deux classes énergétiques, l’atteinte des niveaux A, B ou C (sauf dérogations), ainsi que le « traitement » de « six postes de travaux » : l’isolation des murs, des planchers bas, de la toiture, des menuiseries extérieures, la ventilation et la production de chauffage et d’eau chaude.
« Le risque, c’est que tout le monde s’arrête à une rénovation C et qu’on n’atteigne pas les niveaux A et B, et donc nos objectifs », s’est émue Marjolaine Meynier-Millefert (LRM, Isère), à l’unisson de son collègue Vincent Descœur.
« Aménagements cosmétiques »
Emmanuelle Wargon, en se basant sur des calculs du ministère, a assuré que les objectifs climatiques seront tenus. A l’inverse, une note interne du service bâtiment de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, publiée par le site Contexte, juge que cette définition « conduirait à doubler les consommations d’énergie du parc à 2050 par rapport à l’objectif BBC 2050 ».
« Avec ce recul sur la performance, et en rejetant l’obligation de rénovation pour l’ensemble des propriétaires, la majorité rate le coche de l’accélération de la rénovation. On se retrouve avec des aménagements cosmétiques par rapport à l’esprit de la convention citoyenne et à l’ampleur de la tâche », dénonce Célia Gautier, responsable climat et énergie à la Fondation Nicolas Hulot.
Le projet de loi, qui touche tous les aspects de la vie quotidienne, de l’interdiction de certaines lignes aériennes à la lutte contre l’artificialisation des sols et à la régulation de certaines publicités, doit être examiné jusqu’à vendredi à l’Assemblée nationale.