Mounia, entre émotion et sourires, c’est ainsi que nous l’avons trouvée récemment. Une interview dans laquelle elle s’exprime à coeur ouvert. Il y a quelques mois le départ, brutal, du chanteur et musicien dominiquais Jeff Joseph, prenait la Caraïbe par surprise. Et nous fendait le coeur. Sa compagne, Mounia, lui rend aujourd’hui hommage à l’Habitation Clément, à travers une exposition de tableaux intitulée Mass’k. Peinture, mode, Jeff, l’ancien top-model martiniquais et égérie d’Yves Saint-Laurent s’est confiée à Antilla. Entre émotion et sourires.
Antilla : Depuis quand peignez-vous Mounia ?
Mounia : Depuis une vingtaine d’années. J’avais un petit atelier, en haut de mon appartement à Paris. C’était une petite « chambre de bonne », où je peignais sur des toiles que je fabriquais moi-même. La peinture m’a toujours intéressée.
Depuis l’enfance ?
Oui, j’aimais bien reproduire des images, comme La Joconde par exemple ; je reproduisais à peu près la même chose, et sans jamais avoir appris. Par la suite j’ai heureusement évolué et trouvé mon style, qui est le figuratif abstrait. Je me plais plus dans l’abstraction que dans le côté bien lissé, réaliste. Et j’aime beaucoup les paysages. J’ai une particularité qui est de toujours travailler la nuit ; je peins toujours des paysages de nuit. Je ne peins jamais de jour.
Y a-t-il une explication à ça ?
J’aime le bruit de la nuit, me retrouver avec moi-même ; j’aime peindre dans la solitude, c’est là que je puise toute mon énergie, ma force. Cette collection, Mass’k, est un hommage à Jeff Joseph, mon compagnon décédé depuis le 23 novembre (2011), qui est parti brutalement. Dans cette exposition j’ai complété une collection de tableaux que j’avais commencée depuis longtemps, et que Jeff avait beaucoup aimée. C’est pour ça que j’ai décidé de lui faire un hommage à travers cette collection de tableaux.
Donc toutes les œuvres exposées ici ont été commencées avant le décès de Jeff ?
Oui. Certaines œuvres sont de 2006-2007, et d’autres ont été réalisées après son décès. Donc il a vu le début de certaines toiles, comme A i ti, Massk’. Et il a vu aussi cette toile, qui est l’un des tableaux partis en tout premier : Allumer le feu. D’ailleurs je n’en suis pas certaine, mais il me semble que c’est lui qui m’avait donné ce titre, ainsi que la toile qui s’appelle Pleine lune. Il m’avait dit qu’il aimait le bleu de ce tableau.
J’ai lu quelques commentaires de visiteurs, écrits sur le cahier : ils sont plutôt positifs, voire élogieux. Que vous disent les gens après avoir vu ces œuvres ?
En général ils me disent ‘merci’, ‘merci pour ces couleurs’. J’ai eu des compliments me disant que j’étais une coloriste hors-pair (sourire). J’ai eu la réflexion d’un enfant, me disant ‘j’aurais aimé avoir votre toile.’ Et il m’a montré l’une des toiles les plus grandes (sourire).
Est-ce que votre expérience dans la mode a eu une influence sur ce sens de l’agencement, de mariage des couleurs ?
Absolument. Du plus profond de moi, j’ai cette expérience des couleurs et cette faculté de les mélanger, tout simplement grâce à mon cursus dans la mode. J’ai eu quand même une carrière de 17 ans chez Yves Saint-Laurent et dans la haute-couture en général. Je voyais passer les mélanges de couleurs et de matières que faisait Yves Saint-Laurent, ce grand dieu de la mode (sourire), comme Karl Lagerfeld, de chez Chanel, qui avait cette faculté de mélanger les matières fines – par exemple de la mousseline de soie avec un lin bien corsé. Tout cela me vient de là. J’avais aussi la chance de fréquenter les ateliers de grands maîtres, comme Bernard Buffet (célèbre peintre expressionniste français, décédé en 1999, ndr). Grâce à Paloma Picasso, la fille de Pablo Picasso, qui est une amie, j’ai eu la chance de visiter les ateliers de son père ; le sculpteur César était un grand frère, qui suivait mon travail. Henri Guédon, maître de la peinture et de la musique, m’avait conseillée sur mes premières toiles. Il m’avait dit ‘ma fi ou ké’y rivé an jou adan lapenti.’ Et quelque part il avait raison, parce qu’aujourd’hui je suis cotée à Drouot.
C’est-à-dire ?
Qu’on est coté internationalement. Drouot c’est la référence. C’est-à-dire que ma peinture est reconnue, des galeristes m’ont invitée à exposer chez eux, à Paris, au Japon, à New-York. D’ailleurs le New-York Times m’avait fait un très bel article…
Est-ce que ce sont vos rencontres, avec tous ces artistes renommés, qui vous ont dirigée vers l’abstrait et le figuratif ? Est-ce par exemple après avoir vu certaines œuvres que ce style, ce genre vous a « parlé » ?
C’est sûr. Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent me considéraient comme leur fille – non seulement j’étais l’égérie, mais j’étais considérée comme étant de la famille de Mr Yves Saint-Laurent. Donc j’allais partout avec eux : à l’Opéra de Paris, au Metropolitan Museum de New-York, etc. C’était une manière pour moi d’acquérir cette progression de connaissance de l’art. Quand on a des parrains comme MM Saint-Laurent et Bergé, si on n’apprend pas un petit quelque chose c’est qu’on ne veut pas (sourire). Et puis je suis de nature curieuse, je suis une grande observatrice ; j’aime bien observer et ne rien dire. Et dans mes observations, j’arrive à capter des choses et j’essaie toujours de me cultiver. Même dans les choses les plus négatives parfois, j’essaie de sortir une chose positive. J’arrive toujours à transcender le négatif en positif. J’essaierai toujours de passer à travers le négatif, pour arriver à ce sommet qui m’attire, qui est la lumière en fait. Et je crois que ça se ressent dans mes tableaux. Même si il y a des parties sombres, vous verrez qu’il y a toujours une « partie » de respiration. J’aime bien respirer (sourire).
C’est bon signe.
(sourire) Je n’aime pas rester inerte.
Le décès de Jeff a-t-il changé quelque chose dans votre inspiration ? Vous disiez être très observatrice : qu’est-ce qui nourrissait votre inspiration avant son « départ » ? Votre vécu ? Toutes vos rencontres ?
Je pense que c’est un tout. Avec Jeff nous avons eu une vie et passé des moments très agréables. Il m’a tout appris dans la chanson ; il m’a même initié à comment tenir un micro. J’avais une petite possibilité de chanter quand j’ai commencé, mais Jeff m’a tout appris. Il m’a appris à respirer, à tenir pour mieux pousser sur une note. Et durant ces huit ans que nous avons passé ensemble, Jeff a fait quelque chose de somptueux : il m’invitait dans ses grands concerts. Evidemment il y avait des gens qui se demandaient ‘mais qu’est-ce qu’elle fait là ? Elle ne chante que du reggae.’ Hé bien oui, je ne chante que du reggae ; c’est le reggae qui m’a toujours attirée, depuis toujours. Jeff me disait ‘ce que j’aime avec toi, c’est que quand tu entames quelque chose, tu la termines.’ Et il me dirigeait parfois dans ma peinture. Il me disait ‘là je préfère comme ça, tu devrais plus t’appliquer comme ça.’ Et je tiens à parler d’une très bonne amie, Geneviève Mouresse, qui est plasticienne et qui m’a incitée à reprendre les pinceaux.
Après le décès de Jeff ?
Non, bien avant ça. C’est une très bonne amie, que Jeff aimait beaucoup. Je la remercie de m’avoir poussée et soutenue après le décès de Jeff.
Avez-vous mis beaucoup de temps à peindre après son « départ »?
Non, tout de suite. J’ai eu envie de peindre, mais toujours en pensant à Jeff. Ah oui, vraiment… D’ailleurs Jeff a connu la maman d’Yves Saint-Laurent. Il l’a rencontré et elle lui a dit ‘vous avez énormément de chance d’être avec ma moumoune’ – Yves et sa mère m’appelaient ‘moumoune’ (sourire). La mort d’Yves Saint-Laurent a été choc pour Jeff et moi.
Et depuis vous ne suivez plus l’actualité de la « maison » Saint-Laurent ?
Oui, bien-sûr, mais bon maintenant ça a été repris, vendu. Je rencontre parfois Pierre Bergé à Paris : on s’aime autant et on s’aimera toujours.
Yves Saint-Laurent a-t-il eu l’occasion de vous dire ce qui l’avait séduit en vous ? Pas uniquement en tant que mannequin, mais en tant que personne.
Oui, il me l’a écrit. J’ai pas mal de dédicaces de Mr Yves Saint-Laurent. Ce qu’il aimait en moi, c’était ma spontanéité et ma sincérité ; il me l’a toujours dit et me l’a écrit. Il me disait ‘tu es mon petit cœur d’amour’ (sourire). Il m’a toujours donné son amour.
A vous écouter on a l’impression qu’il était presque amoureux de vous.
C’est ce que Le Figaro et le Women’s Wear Daily (célèbre quotidien de mode étusanien, ndr) avait écrit une fois. Ils avaient dit que nous étions amoureux, qu’on devait même se marier…
Ah oui carrément ?
Et vous savez, quelque part ce n’est pas faux. Car un couturier qui garde un top-model aussi longtemps, qui invente le smoking de femmes sur moi… il y a de l’amour, de l’amour complice entre nous.
Suivez-vous la mode, la création martiniquaise ? Qu’en pensez-vous ?
Ah oui, il y a des viviers de créateurs ou de stylistes ici qui sont des gens extraordinaires. Vous avez Paul-Hervé Elisabeth, vous avez le jeune Olivier Couturier, qui fait des choses magnifiques. Bon, par moments il faudrait que certains descendent un peu sur terre (sourire), il faut quand même travailler pour arriver au niveau de Mr Yves Saint-Laurent – qui a d’ailleurs commencé chez Christian Dior avant d’être ce qu’il a été. Comme quoi il faut beaucoup travailler avant (sourire). Certains stylistes, parce qu’ils ont fait une très belle collection, pensent que…
Ça y est.
Ça y est, ‘je suis au summum et on n’a rien à me dire. C’est dommage, il faut être plus lucide. En tant qu’artiste-peintre, si on me fait une critique, si on me dit que mes œuvres sont moins bien que l’année dernière ou mieux que les autres années, je le prends en positif. Si on vous dit que tout est beau, tout est parfait, il faut se poser des questions. Je suis aussi d’accord pour les critiques « négatives », mais qu’elles soient constructives. J’aurais souhaité que les gens qui laissent des commentaires qui vont dans le sens de pouvoir m’aider à grandir, me laissent aussi leurs coordonnées. A ce moment-là je dirais ‘hé bien chapeau’. Les gens qui laissent des messages très négatifs, violents, et qui ne laissent pas leurs noms, c’est de la lâcheté.
J’imagine que vous allez continuer de peindre.
Bien-sûr, c’est mon métier maintenant. Depuis une vingtaine d’années, mais c’est encore plus mon métier. Plus je grandis – j’aime bien dire ‘grandir’ (sourire) –, plus je pense que la peinture me coule dans les veines.
Vous peignez tous les jours ? Très régulièrement ?
Très régulièrement. Mais toujours la nuit, jamais de jour.
Et la musique ?
La musique c’est de jour, dans un studio, fermé. Et souvent aussi la nuit, ça dépend. Là je prépare mon album, que j’avais commencé avec Jeff. Il a eu le temps de m’écrire quatre très belles chansons. D’ailleurs je vais reprendre One, two, three (« tube » de Jeff Joseph, ndr) en reggae, parce qu’il le voulait. Donc voilà… j’ai du boulot et des choses très positives et belles qui me sourient. Et qui arrivent (sourire).
Propos recueillis par Mike Irasque. (Publié dans Antilla 1520)