Le réemploi du verre en Martinique n’est plus une chimère. Grâce à l’initiative Nou Ka Viré, portée par Julien Raymond et soutenue par la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), l’ADEME et Citeo, une première boucle opérationnelle de collecte, de lavage et de redistribution des emballages en verre voit le jour. Ce projet, sélectionné dans le cadre d’un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI), est bien plus qu’une solution technique : il traduit une volonté politique, économique et culturelle de faire renaître une pratique ancrée dans la mémoire des Martiniquais. À l’heure où les déchets s’accumulent et où les circuits de traitement sont saturés, cette expérience martiniquaise du réemploi du verre est en passe de devenir un modèle.
A suivre l’interview d’Alexandre Ventadour, Conseiller Territorial de la CTM, président de la commission attractivité, développement économique, numérique, tourisme et Transitions Ecologique, Energie, Mutations Climatiques, pollutions
Une réponse concrète à une urgence territoriale
En Martinique, 100 % des contenants en verre sont aujourd’hui importés, puis jetés après usage. La majorité est déposée dans les bornes d’apport volontaire, puis broyée pour des usages en travaux publics. Une valorisation minimale, à faible valeur ajoutée. Or, selon une étude menée par l’ADEME, près de 82 % des Martiniquais se disent favorables au retour du réemploi, pourvu qu’il soit simple, accessible et gratifiant.
C’est dans ce contexte que la CTM, Citeo et l’ADEME ont lancé un AMI au début de l’année. Sur plusieurs candidatures, c’est le projet de Nou Ka Viré qui a été retenu pour sa maturité, sa capacité à fédérer les acteurs économiques et son caractère opérationnel immédiat. Julien Raymond, fondateur de l’entreprise, s’est appuyé sur ses années passées dans la grande distribution et la logistique pour construire un modèle viable, agile, et ancré dans le tissu local.

Alexandre Ventadour :
“C’est un vrai modèle d’économie circulaire”
Présent lors de la conférence, Alexandre Ventadour, conseiller territorial et président de la commission Transition écologique, énergétique, numérique et pollutions à la CTM, a salué l’initiative avec enthousiasme :
« Ce n’est pas une consigne au sens strict, mais l’esprit y est. On gratifie les citoyens pour un geste utile. C’est la preuve que les Martiniquais sont prêts, qu’ils ont la conscience et la mémoire de ces pratiques. »
Il insiste sur la portée de cette action :
« Aujourd’hui, nous avons trop de déchets pour trop peu de capacités de traitement. Le réemploi est une alternative au tout-incinération ou à l’enfouissement. Il faut produire moins de déchets, pas simplement mieux les traiter. »
La CTM s’engage fortement sur ce sujet avec une stratégie d’économie circulaire dotée d’une enveloppe de 100 millions d’euros sur 7 ans, cofinancée avec l’Union européenne et d’autres partenaires. L’objectif à terme : atteindre au moins 80 % de réemploi des bouteilles en verre en Martinique.
Une boucle déjà en marche : collecter, laver, réutiliser
Le dispositif déployé par Nou Ka Viré repose sur une série d’automates installés dans des grandes surfaces partenaires (Galéria, Auchan, Carrefour PZQ), où les consommateurs peuvent rapporter leurs bouteilles. Ces contenants sont ensuite triés, nettoyés à haute température dans une machine professionnelle, inspectés à la mireuse, séchés à l’air alimentaire, puis reconditionnés pour repartir dans les circuits de vente.
« Nous avons conçu un processus qui respecte les standards alimentaires. Nous avons formé notre personnel à l’hygiène, et investi dans du matériel performant, adapté à tous les formats de bouteilles, même les plus spécifiques », explique Julien Raymond.
Le centre de lavage, situé à Fort-de-France, fonctionne aujourd’hui avec un camion et une personne, et gère environ 1 000 bouteilles par automate et par mois, un chiffre en nette augmentation. À terme, le projet prévoit de s’étendre à la restauration, aux stations-services, et aux petits producteurs artisanaux.
Un modèle soutenu financièrement et collectivement
Citeo, éco-organisme chargé de la gestion des déchets d’emballages, prend en charge 80 % des dépenses éligibles du projet dans la limite de 150 000 euros. Pour Philippe Moccand, son directeur en charge des Outre-mer :
« Le réemploi est complexe à mettre en œuvre. Il nécessite un alignement des filières industrielles, des chaînes logistiques et des comportements consommateurs. Le projet Nou Ka Viré coche ces cases et mérite un soutien plein. »
Jean-François Mauro, directeur de l’ADEME Martinique, rappelle pour sa part l’historique du projet :
« En 2018 déjà, nous avions mené une étude qui démontrait que le modèle de réemploi ne pouvait être viable que s’il atteignait une échelle territoriale. C’est exactement ce que propose Nou Ka Viré. »
Sensibilisation, co-construction et accompagnement
Pour réussir, le projet mise sur l’intelligence collective. Sept ateliers destinés aux metteurs en marché et distributeurs sont prévus : cinq de sensibilisation, deux de co-construction. En parallèle, dix demi-journées d’animation seront proposées au grand public pour l’informer et le faire adhérer au dispositif.
Le projet prévoit également d’analyser différentes boucles de réemploi en menant des études logistiques, des analyses de cycle de vie, ainsi qu’une réflexion sur les automates de collecte, les types d’étiquettes (hydrosolubles ou sérigraphiées), et les investissements nécessaires (stockage, transport, lavage, communication…).
Une adhésion progressive mais réelle des industriels
Certains industriels comme la distillerie Neisson sont déjà engagés dans le réemploi. D’autres, plus prudents, observent les premiers résultats avant de s’aligner. Pour Julien Raymond, c’est normal :
« Changer de type d’étiquetage, adapter les lignes de production, tout cela demande des investissements. Mais ceux qui veulent avancer trouvent des solutions, d’autant que nous pouvons déjà traiter une grande diversité de formats. »
Une dynamique à amplifier
Aujourd’hui, la boucle fonctionne. Demain, elle devra monter en puissance. Pour Alexandre Ventadour, l’ambition est claire :
« Il faut qu’on change d’échelle. Si les Martiniquais s’habituent à considérer qu’une bouteille ne se jette pas, mais retourne dans un circuit de réemploi, alors nous aurons gagné. »
Julien Raymond partage cet espoir :
« On peut faire de la Martinique un territoire pionnier du réemploi, en s’appuyant sur notre mémoire collective, notre bon sens, et notre volonté d’indépendance économique et écologique. »
Un projet-pilote, une ambition collective
Nou Ka Viré est bien plus qu’un projet industriel. C’est un levier de transformation culturelle et écologique. En conjuguant l’impulsion des institutions, l’expertise technique d’un porteur engagé, le soutien d’un éco-organisme, et l’adhésion des consommateurs, la Martinique esquisse ici une véritable filière circulaire du verre. Une initiative à suivre de près, et peut-être, à répliquer ailleurs.
Philippe PIED