SANTÉil y a 2 heuresUne femme achète des produits alimentaires près d’un étalage de bouteilles de soda dans un supermarché de Rosemead, en Californie, le 18 juin 2014.
©Frederic J. BROWN / AFP
IMPACT SUR L’ORGANISME
Les édulcorants sont utilisés par l’industrie dans de nombreux produits et aliments transformés. Les édulcorants non nutritifs sont-ils bénéfiques, neutres ou nocifs pour la santé en particulier pour le risque d’obésité ?Guy-André PelouzeAJOUTER AU CLASSEURLECTURE ZEN
Perturbations neuro-comportementales : les édulcorants parlent à votre cerveau
avec Guy-André Pelouze
Les édulcorants
Les édulcorants non nutritifs (ENN) sont des molécules qui ont un goût sucré qui est dû à leur interaction avec le récepteur du goût au niveau de la langue. Ils ne sont peu ou pas métabolisés et donc n’apportent que peu ou pas de calories. Ces ingrédients sont ajoutés dans une variété d’aliments et de boissons afin de remplacer le sucre (saccharose: glucose-fructose) et de diminuer la facture calorique. Les édulcorants sont considérés comme permettant de consommer davantage d’aliments sucrés, sans élever la glycémie, l’insulinémie et la glycation des protéines. Comme ils sont peu ou pas métabolisés, ils ne contribueraient pas, stricto sensu, à une prise de poids. Pour autant, les édulcorants entraînent une dissociation entre le goût sucré, la glycémie et l’apport en calories. Quand on mange un glucide comme le saccharose, dès l’étape buccale le cerveau est informé qu’il s’agit de sucre et de calories. Si bien que des régulations se mettent en route. Avec un ENN le goût provoque l’enclenchement de ces régulations qui sont ensuite stoppées car ni le sucre, ni les calories ne sont absorbés.https://af86f05c7648b3003e03a3ded0c365eb.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
Les ENS sont utilisés par l’industrie dans tout une série de produits et aliments transformés. Très employés dans les chewing-gums et les bonbons, ils sont annoncés comme anti-caries puisque certaines bactéries cariogènes ne peuvent les utiliser mais un peu plus loin dans le tube digestif ils modifient la flore intestinale. Le sucralose est l’ENN le plus utilisé.À LIRE AUSSIMesures de quarantaine : cette culture scientifique qui nous fait parfois défaut pour combattre le Covid-19
Les édulcorants non nutritifs (ENN)
Sorbitol et sirop de sorbitol E420
Mannitol E421
Acesulfame de potassium E950
Aspartame E951
Acide cyclamique et cyclamate (de calcium, potassium, sodium) E952
Isomalt (isomaltulose hydrogéné) E953
Saccharine (de potassium, ou sodium ou calcium) E954
Sucralose (Trichlorogalactosaccharose) E955
Alitame E956https://af86f05c7648b3003e03a3ded0c365eb.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
Thaumatine E957
Liquorice (acide glycyrrhizique) E958
Dihydrochalcone de néohespéridine E959
Glucosides de stéviol E960
Neotame E961
Sel d’aspartame-acésulfame E962
Tagatose E963
Sirop de polyglycitol E964
Maltitol et sirop de maltitol E965
Lactitol E966
Xylitol E967
Erythritol E968
Une recherche biochimique intense pour trouver un substitut idéal au sucre. Donner le goût sans les calories. Duper le cerveau est-il possible?
Il existe des preuves solides que les aliments et les boissons sucrés contribuent à l’obésité et à ses comorbidités associées comme le diabète de type 2, en revanche il y a un manque de consensus quant à savoir si les ENN sont bénéfiques, neutres ou nocifs pour la santé en particulier le risque d’obésité. Compte tenu de l’utilisation croissante des ENN, il est pertinent de résoudre la controverse en cours sur la consommation des ENN. En particulier parce que les études humaines ont été le plus souvent limitées à des hommes de poids normal, sans étudier les effets des facteurs biologiques individuels sur les conséquences neuro-comportementales et métaboliques de l’ingestion d’ENN.https://af86f05c7648b3003e03a3ded0c365eb.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.htmlÀ LIRE AUSSILa France dans l’impossible défi du “en même temps” à propos de la pandémie: vacciner et laisser faire la transmission par impuissance
La consommation de sucralose (ENN) et ses conséquences neurocomportementales
L’étude de Page et collaborateurs (YunkerAG, AlvesJM, LuoS, et al. Obesity and sex-related associations with differential effects of sucralose vs sucrose on appetite and reward processing: a randomized crossover trial) démontre que l’adiposité et le sexe féminin sont positivement et significativement associés au résultat neurocomportemental de la consommation de sucralose. C’est un essai randomisé croisé sur une journée c’est-à dire sur les conséquences immédiates de la consommation de sucralose (Figure N°1), avec des outils très avancés comme l’IRM fonctionnelle.
Figure N°1: la journée de tests. BOLD indique dépendant du niveau d’oxygène dans le sang ; MPRAGE, séquence spéciale d’IRM fonctionnelle. Les boissons étaient soit 75 g de saccharose dans 300 ml d’eau, du sucralose (1,5, 2 ou 3 mM en fonction de la perception individuelle du goût sucré correspondant à la boisson au saccharose) dans 300 ml d’eau, ou de l’eau plate (300 ml).https://af86f05c7648b3003e03a3ded0c365eb.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
Les auteurs ont étudié l’activité cérébrale, les réponses métaboliques et les comportements alimentaires après la consommation de sucralose (ENN) par rapport au saccharose chez 74 jeunes adultes en bonne santé avec un indice de masse corporelle étendu (IMC = Poids en kg/ Taille en mètres carrés) de 19,18 à 40,27. La réactivité neuronale a été examinée en réponse à différents signaux alimentaires visuels lors d’une mesure d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Le sang est prélevé à différents moments avant et après l’ingestion de boissons de 300 ml contenant soit du saccharose, du sucralose ou de l’eau (contrôle). Des repas à volonté ont été présentés à la fin de chaque journée de mesure. Comme nous le savions déjà, les réponses endocriniennes (insuline sécrétée) ont été plus importantes après l’ingestion de saccharose que de sucralose, mais il n’y avait pas de différences significatives en fonction du sexe et de l’adiposité. En revanche, au niveau neurocomportemental il n’en fut pas de même. C’est cette dimension qui fait l’objet de l’article en raison de sa nouveauté. Les personnes obèses, mais pas celles en surpoids ou de poids normal, ont présenté des réponses neuronales plus importantes aux images alimentaires dans les zones préfrontales liées à la récompense après avoir ingéré du sucralose par rapport au saccharose. De plus, les femmes, mais pas les hommes, ont réagi avec une réactivité neuronale accrue aux signaux alimentaires et ont consommé plus de calories pendant le repas sous forme de buffet après l’ingestion de sucralose par rapport à l’ingestion de saccharose. C’était particulièrement le cas pour les femmes obèses, qui présentaient une plus grande réactivité neuronale aux signaux alimentaires riches en calories, en particulier dans les cortex préfrontal médial et orbitaire. Ces régions frontales sont impliquées dans la valeur de récompense des aliments, dans l’agrément subjectif de l’odeur, de la vue, du goût et de la texture de la nourriture. Il a été démontré que des activations plus fortes entraînent un goût accru pour la nourriture. De plus, le cortex préfrontal ventromédian est un acteur majeur de la prise de décision concernant la valeur de récompense de la nourriture. C’est pourquoi cette région et ses connexions jouent un rôle majeur dans la gestion du poids corporel.https://af86f05c7648b3003e03a3ded0c365eb.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.htmlÀ LIRE AUSSITraitement et thérapies post Covid-19 : ce qu’il faut savoir si vous avez été atteint d’une forme sérieuse de la maladie
Ainsi Page et collaborateurs ont démontré que les femmes obèses sont particulièrement vulnérables à une plus grande réactivité neuronale provoquée par une consommation de sucralose, en particulier dans les régions cérébrales associées à la récompense préfrontale. Dans cette étude, l’ajout d’un ENN à notre alimentation altère la réactivité du cerveau à la nourriture, avec des conséquences délétères sur le comportement alimentaire et le métabolisme, en particulier chez les femmes et les sujets obèses. D’autres études ont montré qu’en plus des facteurs biologiques individuels (adiposité et sexe) décrits par Page et collaborateurs, les conséquences neurocomportementales et métaboliques de l’ingestion d’ENN peuvent également dépendre de la façon dont ils sont consommés. En effet, les humains vivant librement consomment couramment des ENN en combinaison avec un repas. Est ce que les associations observées entre les édulcorants liés à l’obésité et au sexe et la réponse de récompense neuronale chez les femmes et les personnes obèses en réponse au sucralose sont toujours observées en combinaison avec des macronutriments spécifiques, c’est à dire avec des aliments ou des repas riches en glucides, ou en lipides ou en protéines? C’est une autre hypothèse à tester.https://af86f05c7648b3003e03a3ded0c365eb.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
Obésité et récompense: l’ultime connection
En 1945 Fénichel dans son ouvrage “la théorie psychanalytique des névroses” considère que la boulimie est une addiction sans drogue. L’hypothèse d’une origine addictive aux troubles du comportement alimentaire n’est donc pas nouvelle. Pour autant, c’est chaque jour que le clinicien peut se rendre compte de l’addiction à certains aliments. Notons qu’il s’agit le plus souvent d’aliments industriels ou comportant l’adjonction de nutriments raffinés comme le saccharose, d’autres hydrates de carbone rapides, le sel, le gras pur… En revanche, je n’ai pas observé d’addiction ni de boulimie ou de crise boulimique comportant l’ingestion d’aliments naturels entiers non transformés. Qu’il s’agisse des légumes, des fruits des céréales germées ou trempées, de la chair des animaux terrestres ou marins, l’ingestion alimentaire est variable en fonction de l’état de faim de l’individu mais s’interrompt le plus souvent avant la réplétion gastrique par un phénomène d’alliesthésie bien décrit par Cabanac. L’organisation cérébrale humaine comprend plusieurs systèmes de commande et de régulation extrêmement interconnectés. À partir du cerveau reptilien s’est bâti progressivement un cerveau de mammifères puis un cortex cérébral qui connaît son plein développement chez une l’homo sapiens. On peut résumer les forces sélectives qui ont conduit à un organe aussi complexe à 3 :À LIRE AUSSILa vaccination obligatoire : quelle efficacité ? La réponse par les faits
- La recherche de l’alimentation,
- La survie en cas d’agression,
- La reproduction.
Dans les trois cas, le succès d’une stratégie se solde par une récompense. Le mécanisme et l’activation du circuit de la récompense qui procure bien-être, analgésie, euphorie, est complexe. Par exemple, en ce qui concerne les principaux nutriments nous possédons un sens inné de recherche du goût sucré, gras et une alliesthésie précoce pour les protéines. L’ingestion d’un aliment sucré produit une stimulation gustative qui parvient au nucleus accumbens et active ensuite le circuit préfrontal dopaminergique de la récompense. Une sensation agréable s’ensuit par libération d’endorphines. En cas d’agression le système adrénergique est immédiatement stimulé de même que l’amygdale cérébelleuse et une intense libération d’endorphine se produit conduisant à une analgésie bien connue des guerriers de l’époque athénienne victimes de plaie par arme blanche et dont ils s’apercevaient uniquement à la fin de la bataille. L’inondation d’endorphines après une hyper-stimulation adrénergique produit une sensation de bien-être. La reproduction nécessite la rencontre, le coït et la fécondation. La pénétration chez l’homme et chez la femme peut conduire à l’orgasme véritable embrasement du circuit de la récompense.
C’est dire l’importance du circuit neuronal de la récompense dont la découverte date des années 1980.
Les aliments industriels ne sont pas neutres en ce qui concerne la stimulation itérative du circuit de la récompense. Le goût sucré qui caractérise la majorité des produits industriels provoque une stimulation itérative de ce circuit. Cette stimulation de faible amplitude mais extrêmement fréquente et probablement capable d’induire un phénomène d’accoutumance. Dans son environnement naturel, l’humain n’a pas à sa disposition des aliments faiblement sucrés en très grande quantité comme les boissons sucrées actuelles. Il a plutôt accès à des aliments qui peuvent être sucrés à certaines périodes de la saison lorsqu’il est possible de disposer par exemple d’un essaim d’abeilles pour recueillir le miel ou bien lorsqu’un fruit très mûr est abondant localement mais entre ces ingestions alimentaires le sucre est absent. Aucune stimulation n’est enregistrée. Nous sommes donc passé d’une stimulation phasique peu fréquente à une stimulation tonique quasi permanente. Il en est de même dans une certaine mesure du sel, du gras et d’un certain nombre d’autres molécules hors de la matrice alimentaire. Le circuit de la récompense en permanence activé par de faibles doses de sucre s’épuise peu à peu et entre autres dérégule par feed-back négatif les gènes codant pour l’expression des récepteurs à la dopamine. C’est ce que l’on observe chez l’obèse. Le résultat de cette stimulation chronique de faible amplitude du circuit de la récompense dès que la dérégulation des récepteurs dopaminergiques est enclenchée est la recherche de mets encore plus sucrés. À partir de là un cercle vicieux s’installe et augmente la prise alimentaire. Le poids augmente, des conséquences métaboliques apparaissent et une dégradation de l’image de soi s’installe peu à peu. Bien évidemment les modifications structurelles du circuit de la récompense peuvent dans des conditions de vulnérabilité génétique et épigénétique s’installer rapidement, être plus durable et constituer un mécanisme rigide du comportement alimentaire. C’est ce qui explique principalement les difficultés de l’obèse à revenir à une situation physiologique normale.À LIRE AUSSICovid-19 : ces très bonnes nouvelles pour l’été 2021. Et la moins bonne pour la suite…
Les points clés de cette étude sur le sucralose
Cette étude importante et de grande qualité met en évidence:
1/ Que si les édulcorants ne déclenchent pas une réponse pancréatique significative (hyperglycémie, hyperinsulinémie), ils parlent à notre cerveau, et cette interaction a des conséquences sur la consommation d’aliments en l’augmentant.
2/ Au delà des calories (le nombre de calories est important pour le poids mais on observe de grandes différences de prise de poids parmi les régimes isocaloriques), des macronutriments (la charge glycémique est plus importante que le nombre de calories sur le plan métabolique et l’adiposité), nous fonctionnons au final avec notre cerveau. Dans ce contexte, l’obésité est aussi liée à la quête de la récompense par la prise alimentaire car ce mécanisme a été salvateur tout au long de notre histoire. L’abondance alimentaire récente constituée d’aliments transformés à forte charge glycémique abuse ce mécanisme ancestral.
3/ Plusieurs études de bonne qualité conduisent à recommander la non substitution du sucre et la diminution de la charge glycémique (grammes de glucides métabolisables par jour) pour maintenir un poids optimal et éviter le diabète de type 2. Cette étude montre que ceux qui ont un bénéfice à s’écarter des ENN sont les personnes déjà obèses et les femmes, donc surtout les femmes obèses. Cette sensibilité particulière peut expliquer un certain pourcentage d’échecs des traitements diététiques proposés.