À la toujours excellente émission de Mano sur RCI du dimanche matin, l’invitée du jour, la nouvelle présidente du Conseil Général de la Martinique, Mme Josette Manin, nous raconta les événements marquants de sa vie. Et récidiva.
Comme lors de son 1er discours le jour de son élection, elle cita, à la fois Georges Gratiant qui l’accueillit dans son équipe municipale, La tuerie du 24 mars 1961 au Lamentin où trois Lamentinois périrent, Le Discours sur trois tombes de Georges Gratiant. (Au cours du 1er discours, elle avait également cité Édouard Glissant et le « Tout Monde »).
Il y eut DEUX moments émouvants dans cette évocation, ce dimanche-là.
Car Josette Manin, alors âgée de onze ans, était présente, nous dit-elle, au mitan des ouvriers agricoles rassemblés devant la rue des Barrières et la rue Hardy de Saint-Omer qui réclamaient la libération de deux des leurs arrêtés par les forces de l’ordre, (voir à ce propos le lien suivant de « terres locales « : http://www.terrelocale.net/Pages-d-histoire-50e-Anniversaire.html reprenant une courte vidéo éditée par Radio-Apal).
La mère de Josette, ouvrière agricole, et visiblement femme de grande conscience, avait charoyé là ses deux filles sous ses bras : par ce geste, elle avait décidé de marquer, indélébilement, la conscience de ses enfants à l’orée de leur adolescence.
Le Discours sur trois tombes – qui valut à Georges Gratiant la foudre des autorités de l’époque – fut la conclusion épique de cette tragédie ouvrière et coloniale, et sa citation répétée par l’intéressée témoigne de la marque qu’il imprima dans le cœur de la jeune lamentinoise.
Mais le deuxième temps émouvant, fut, encore plus, celui où Mano nous fit entendre la voix de Georges Gratiant, racontant comment lui-même – et je pourrais ajouter lui seul – obligea Césaire et Bissol à se rencontrer.
Une bonne partie de la conscience de ce qui s’est passé dans ce pays s’est construite autour de six ou sept mythes mensongers, je dis bien mensongers (1), mais ce qui arriva dimanche dernier en fit éclater l’un des plus tenaces qui écartait Georges Gratiant du rôle premier qu’il joua dans l’émergence de la nouvelle vie politique qui était en train de s’instaurer dans notre pays, un rôle fondamental qu’il accomplit sans ostentation, mais avec un efficacité redoutable, et au nom d’un mouvement politique qui allait renverser l’ordre municipal, l’ordre législatif, l’ordre de l’unique Assemblée qui coiffait la vie politique coloniale de l’époque en devenant en 1946 le 1er président du Conseil général du nouveau Département de la Martinique.
Gratiant étant mort en 1992, Darsières et Césaire, eux beaucoup plus tard, auraient pu dénoncer ses propos, si d’aventure Georges Gratiant en avait travesti la vérité. On doit donc les considérer comme définitivement acquis, définitivement vrais.
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Je ne sais si Josette Manin s’en estime, quitte par cette seule allusion radiophonique du devoir non seulement de mémoire mais d’exemplarité qu’imposent ses références.
Je ne sais si la pulvérisation, jusqu’à la dernière pierre, de ce qui restait de ce temple des réalités de la condition ouvrière que fût l’Usine du Lareinty, par une équipe au sein de laquelle elle est un acteur de premier plan, peut se concilier avec cette brûlure qui nous a tous saisis – et déterminés – lorsque, après 1959, après 1961, le temps des engagements nous fut arrivé, nous entraînant, nous les militants de l’OJAM, à côté et avec les jeunes communistes de l’époque (et avec eux seuls !) à dire à notre tour combien ce système colonial devait être aboli…
Et je ne sais encore moins si la majorité de circonstance qui l’a conduit au poste de n° 1 du « Département » est le prolongement direct de « la » geste » de sa mère en ce jour fondateur du 24 avril 1961…
Je ne sais…
C’est à sa conscience, et à sa pratique, de répondre.
Henri PIED
(1) L’un des premiers de ses 6 ou 7 mythes mensongers était que la liberté des esclaves n’avait été acquise que grâce à l’action de Victor Schœlcher, quoiqu’il demeure, au rang des mensonges par omission, l’absence de toute référence dans la longue gestation de cette libération du rôle décisif de Bissette, Fabien, Volny quoiqu’ils aient pu faire par la suite qui eut pu ternir leur engagement premier…