La variation de la taille de globules rouges, un indicateur couramment recherché dans les analyses sanguines standard, est fortement corrélée au risque de décéder du coronavirus, indépendamment des autres facteurs de mortalité. Un mécanisme encore inexpliqué mais qui permettrait de prendre en charge plus rapidement les patients à risque.
Les raisons pour lesquelles certains patients atteints de la Covid-19 sont plus durement touchés que d’autres demeurent obscures. On sait par exemple que les personnes obèses, les hommes ou les personnes âgées ont plus de risques de développer des formes graves de la maladie.
Les chercheurs ont récemment découvert que des anomalies génétiques sont à l’origine de 15 % des cas graves de Covid-19. D’autres marqueurs biologiques comme les interférons (voir ci-dessous) ont été identifiés comme indice pour prédire la sévérité de la maladie. Néanmoins, prédire à l’avance si tel ou tel patient est susceptible de développer des complications ou de mourir demeure hautement hypothétique.
La variation de la taille des globules rouges en dit long sur l’état de santé. © Lucas Barioulet, AFP
La taille des globules rouges, un indice convaincant
Des chercheurs du Massachusetts General Hospital(MGH) et de la Harvard Medical School (HMS) annoncent avoir trouvé un moyen simple et rapide de prédire le risque de décès de la Covid-19 grâce à un examen standard. « Nous voulions trouver un moyen d’identifier le plus tôt et le plus facilement possible les patients Covid-19 qui présentent le plus de risques, c’est-à-dire ceux susceptibles de devenir gravement malades […] et dont l’état risque d’empirer rapidement », explique John Higgings, professeur de biologie à l’HMS et principal auteur de l’étude publiée dans la revue JAMA Network Open.
Le saviez-vous ?
L’indice de déviation du volume érythrocytaire (IDVE) ou coefficient de variation du volume des globules rouges (CVGR) indique la variation en pourcentage de la taille des globules rouges. Plus le sang contient des globules rouges de taille variable (gros et petits), plus la valeur de l’IDVE est élevée (sa valeur normale se situe entre 11,5 % et 14,5 %). De façon générale, un IDVE élevé suggère une anémie par carence en fer, en vitamine B12 ou encore une atteinte de la moelle osseuse (syndrome
2,8 plus de chances de mourir de la Covid-19
Les chercheurs ont analysé les échantillons sanguins de 1.641 patients admis dans les hôpitaux de Boston et infectés par le coronavirus SARS-CoV-2 à la recherche de biomarqueurs pertinents. Ils ont alors remarqué une corrélation étonnante. « Nous avons été surpris de constater qu’un test standard qui quantifie la variation de la taille des globules rouges — appelé indice de déviation du volume érythrocytaire (IDVE) — était fortement corrélé avec la mortalité des patients, et que la corrélation persistait lorsque l’on contrôlait d’autres facteurs de risque identifiés comme l’âge du patient et certaines maladies préexistantes », atteste Jonathan Carlson, coauteur de l’étude.
Les patients avec un IVDE supérieur à 14,5 % lors de leur admission ont ainsi 2,8 fois plus de chances de mourir de la Covid-19 que les autres (31 contre 11 %). Un indice particulièrement frappant chez les patients jeunes, a priori moins à risque. L’étude montre également qu’une augmentation de l’IVDE durant l’hospitalisation est un signe d’aggravation de la maladie.
Une modification de la composition du sang
Le mécanisme d’altération de l’IDVE demeure obscur. De précédentes études ont montré que la Covid-19 entraîne une modification de la composition du sang chez certains patients avec, notamment, une surproduction de plaquettes sanguines amenant à un hypercoagulation. L’étude ne précise pas non plus si l’IDVE élevé était préexistant chez les patients ou si c’est le virus qui provoque cette augmentation.
L’intérêt d’utiliser ce marqueur est qu’il s’agit d’un examen couramment pratiqué lors d’analyses sanguines standard, ne nécessitant pas de matériel spécial ou d’investigations poussées. L’IDVE pourrait ainsi représenter un outil efficace pour déterminer les patients ayant le plus besoin de soins cliniques.
POUR EN SAVOIR PLUS
Une piste pour prédire les formes graves de la Covid-19 ?
Article de Julien Hernandez publié le 21/07/2020
Un récent rapport révèle un marqueur similaire chez les formes graves de Covid-19 : une activité anormale de certaines protéines de la famille des cytokines, nommées interférons. Pour autant, il est encore trop tôt pour parler de causalité. Détails dans cet article.
Un récent rapport d’équipes de l’Institut national de la science et de la recherche médicale (Inserm), de l’université de Paris et de l’Institut Pasteur suggère qu’une activité anormale de certaines protéines, les interférons (IFN) de type I, pourrait être un marqueur de prédiction pour anticiper l’évolution de la Covid-19 vers une forme grave et traiter en conséquence. Pour autant, ces résultats sont préliminaires et plus d’investigations sont nécessaires.
Dans cette étude, les scientifiques ont remarqué, dans leur cohorte qui comptait cinquante patients, que les taux d’IFN1 étaient plus faibles chez les cas qui s’aggravaient nettement après la pose d’une ventilation mécanique. Avant de discuter plus longuement de cette observation, de savoir ce qu’elle vaut, si elle est inédite, et ce qu’elle implique, revenons brièvement sur les
Un peu d’histoire immunitaire
Ce sont deux scientifiques, Alick Isaacs et Jean Lindenmann qui ont découvert les interférons en 1957. Pierre Marschall, docteur en immunologie, nous en raconte un peu plus sur cette découverte. « Quelque temps avant cette découverte, il avait été rapporté que traiter des cellules avec un virus mort ou vivant pouvait empêcher l’infection des mêmes cellules par un autre virus par la suite. Le phénomène a été nommé interférence virale. Isaacs et Lindenmann travaillaient avec une membrane de poulet riche en vaisseaux sanguins (la membrane chorioallantoïque), l’équivalent du placenta des mammifères. Dans l’expérience de leur découverte, ils ont mis cette membrane en présence d’un virus grippal inactivé. Ils ont réussi à détecter un composé jusqu’alors inconnu, produit par les cellules de la membrane. Ils ont récupéré le milieu liquide où s’étaient diffusés ces nouveaux composés et y ont ajouté une nouvelle membrane et un virus grippal vivant, prêt à infecter des cellules. Mais voilà, en présence de ces moléculesinédites, le virus ne put efficacement infecter les cellules et s’y multiplier. Leur conclusion était donc que, grâce au virus intactivé, la membrane de l’expérience initiale avait produit un composé qui a interféré avec le cycle du virus. D’où le nom : interféron ! »
Il y a donc plus d’un demi-siècle que nous connaissons les IFN. Néanmoins, avons-nous percé tous leurs secrets ? « Loin de là », nous lance Pierre Marschall. Il poursuit : « l’étude des IFN se poursuit encore aujourd’hui. Ils font encore l’objet d’essais cliniquespour certaines pathologies, mais la recherche fondamentale travaille encore dessus pour comprendre au mieux comment ils sont régulés et les mécanismes sur lesquels ils agissent ».
Nous sommes loin d’avoir percé tous les secrets des interférons. © Sebastian Kaulitziki, Fotolia
Qu’est-ce qu’un interféron ?
Nous venons de le voir, un IFN est un composé qui permet d’induire une interférence. Mais par qui est-il produit exactement ? Et sert-il seulement à interférer entre nos cellules et les virus ? « Les IFN pourraient être comparés à des SMS moléculaires. Ils peuvent être envoyés par différentes cellules de notre organisme, y compris nos cellules immunitaires. Leur rôle majeur, c’est de permettre aux cellules de communiquer entre elles ou avec elle-même, pour informer d’un danger », explique Pierre Marschall.
Il faut donc comprendre que l’IFN n’est pas le composé qui interfère mais bien qui permet les interférences. En effet, c’est lui qui va faire passer un message d’alerte. « Lorsque nos cellules détectent un danger, comme un virus, elles produisent des IFN qui avertissent leurs voisines qu’il se passe quelque chose d’anormal. Un système de défense se met en place et donne lieu au mécanisme d’interférence décrit par Isaacs et Lindenmann en 1957. Mais ce n’est pas tout. Les IFN exercent aussi un rôle complexe en régulant le système immunitaire. Ils sont essentiels pour maintenir un équilibre minutieux entre une réponse efficace pour éliminer le danger et une réponse suffisamment modérée pour ne pas engendrer trop de dégâts dans l’organisme », détaille Pierre Marschall.
Comment fonctionne cette machinerie complexe ?
Tout cela a l’air extrêmement simple. Pourtant, le fonctionnement de notre immunité est loin de l’être. Mais, tentons une métaphore pour y voir plus clair. Imaginons que notre organisme est une base militaire et que les personnes qui s’y trouvent sont nos cellules. Si celle-ci se fait attaquer, elle saura déceler des signaux pour identifier qui est son agresseur (un groupe terroriste, des renégats, l’armée d’un autre État, etc.). Eh bien, nos cellules savent faire la même chose. « Nos cellules sont équipées de détecteurs de microbes, appelés “récepteurs de détection de motifs” (PRR, en anglais). Le sens de motif, ici, c’est un élément qui permet de déterminer qu’on a affaire à un microbe », précise Pierre Marschall.
Imaginons qu’un assaillant manipulateur tente d’attaquer notre base militaire. Il va enfiler un uniforme similaire pour que les autres pensent qu’il est dans notre camp. Et pour accroître sa puissance de frappe, il va tenter de rallier d’autres militaires à sa cause pour faire tomber la base. La stratégie est redoutable. Mais la base militaire n’est pas dupe. Elle détectera des agissements anormaux de la part de l’assaillant. Dès lors, elle mettra en place un système de défense, dans le doute, pour empêcher la mutinerie. Dans le cas de notre corps, l’assaillant, c’est le virus. « Au sein de nos cellules, notre ADN est strictement confiné dans le noyau. Il existe donc des PRR présents à l’extérieur du noyau et qui s’activent s’ils détectent de l’ADN : il s’agit possiblement d’un virus qui essaie d’infecter la cellule en y injectant de l’ADN. Une fois que la cellule a détecté, via divers mécanismes, qu’elle est attaquée par un virus, elle va alors commencer à produire des IFN », souligne Pierre Marschall.
Mais, au sein d’une armée, même dans une sous-unité, tous les agents n’ont pas le même rôle. Il en va de même pour les alarmes IFN. « On distingue trois familles d’IFN : de type I, type II et de type III. Ils sont classifiés, comme on peut le constater, en fonction du récepteur (alpha et bêta pour le type I, gamma pour le type II et lambda pour le type III) sur lequel ils vont agir à la surface des cellules. Et oui, les immunologistes et le grec, c’est une longue histoire d’amour… », confie Pierre Marschall.
Lorsqu’une attaque se produit, le but premier, c’est de prévenir tout le monde. Dès lors, un agent de votre sous-unité sera chargé de prévenir les unités voisines, et ainsi de suite jusqu’à ce que tout le monde soit au courant qu’une attaque est en cours. La sécrétiond’IFN par nos cellules, c’est un peu la même chose. C’est ce qu’on appelle un rétrocontrôle positif, comme nous l’explique Pierre Marschall : « Les cellules ont constamment le matériel nécessaire pour rapidement produire une première vague d’IFN lorsqu’un virus attaque. Cette première vague, qui arrive en quelques heures, va agir sur les cellules productrices elles-mêmes et augmenter encore la production d’IFN de type I et II. Ceci fait que, lors d’une infection, nos cellules sont capables de rapidement produire ce signal d’alarme. Et elles le font suffisamment fort pour bien alerter tout le monde aux alentours. Voici donc les cellules prévenues : un microbe arrive… ».
Nos agents vont alors déployer des défenses primaires pour éviter que la mutinerie ne prenne de l’ampleur en attendant les renforts de la base générale. Limiter le contact entre les agents qui se sont fait laver le cerveau par l’assaillant et les agents toujours sains et saufs et raisonner les agents hésitants. De même que nos cellules : « les cellules vont donc mettre en œuvre des stratégies qui empêchent la réplication du virus : limiter la transcription d’ADN en ARN, limiter la traduction des ARN en protéines et détruire les ARN présents et tenter de limiter l’assemblage des virus déjà en cours de réplication dans la cellule », développe Pierre Marschall.
Et le signal d’alerte a résonné suffisamment fort pour que la base générale soit prévenue. C’est là que la cavalerie débarque avec plusieurs objectifs : identifier, tuer et, si besoin, faciliter l’arrivée d’autres unités. « Les IFN vont en même temps activer nos cellules immunitaires dont les monocytes qui peuvent se transformer en macrophage et “gober” les virus avant de les digérer [tuer l’ennemi, ndlr] mais également générer un micro-environnement inflammatoire pour attirer plus de cellules immunitaires [faciliter l’arrivée de renforts, ndlr]. Ces monocytes peuvent aussi se différencier en cellules dendritiques. Ce sont les sentinelles de l’immunité. Elles capturent le pathogène, le découpent et en montrent les morceaux (l’anti-gène) à d’autres cellules immunitaires pour qu’elles puissent reconnaître au mieux ce microbe et le combattre [identifier, ndlr]. C’est le début d’une réponse immunitaire adaptative », résume Pierre Marshall.
Mais, l’alarme a aussi été entendue par la base secrète des agents secrets, dans le sous-sol de notre base militaire. Le temps qu’ils se préparent et montent au front, leur arrivée est donc un peu plus tardive. Leurs objectifs sont clairs : contrôler l’envahisseur mais aussi tuer les agents corrompus pour qui rien n’est plus possible afin d’éviter qu’il corrompe d’autres agents à leur tour. Et ces agents secrets ont aussi un canal de communication spécial pour envoyer des armes à leurs alliés et, de ce fait, les rendre plus résistants et à même de combattre. Dans un langage plus scientifique cela donne ceci : « Le récepteur des IFN2 (qui peuvent aussi être des cellules dendritiques) est majoritairement produit par une cellule immunitaire appelée “lymphocyte tueur naturel” (NK, selon l’abréviation anglaise). Les NK font partie de la réponse immunitaire innée et leur spécialité, c’est de faire exploser les cellules infectées par des virus en les contraignant à se suicider ou en leur envoyant une “bombe” cytotoxique en pleine figure. Elles sont activées et attirées par les IFN1. Elles arrivent donc plus tard au cours de l’infection. En plus de leur rôle actif et direct dans le contrôle de l’infection virale, les NK augmentent la résistance des cellules aux virus par l’intermédiaire de l’IFN2 qui peut faciliter l’arrivée de nouvelles cellules immunitaires en dilatant les vaisseaux sanguins, rendre l’environnement plus difficile à vivre pour les virus en demandant aux macrophages de fabriquer des produits toxiques qui vont détruire les microbes. Enfin, les NK potentialisent la réponse immunitaire adaptative antivirale, notamment en agissant sur les cellules dendritiques », indique
Malheureusement, notre système n’est pas sans faille. Si l’alarme particulière déclenchée qui maximise l’efficacité de la riposte se prolonge trop longtemps, elle peut conduire à un arrêt de la riposte. Cet effet secondaire est très utile pour que les unités ne fassent pas subir trop de dégâts inutiles à la base militaire. Mais il peut aussi être fatal si les agresseurs n’ont pas été totalement neutralisés. « Les IFN1 peuvent également inhiber la fonction des cellules immunitaires. En fait, ils promeuvent la réponse anti-virale au départ, mais leur production chronique va conduire à l’inhibition de cette même réponse. Les cellules immunitaires vont alors moins être attirées sur le site d’infection et celles, qui y sont déjà, auront plus tendance à mourir car la stimulation chronique par les IFN augmentera l’expression des récepteurs de mort, voire à simplement inhiber la réponse immunitaire en produisant des messagers moléculaires anti-inflammatoires. Cet effet paradoxal des IFN1 peut être salutaire : une réponse rapide et intense permet un contrôle de l’infection, tout en guidant la réponse du système immunitaire afin qu’elle soit la plus efficace possible. À plus long terme, en bloquant la réponse immunitaire, ils peuvent permettre de limiter les dégâts causés par l’inflammation au tissu environnant. Le problème étant que si le pathogène n’est pas efficacement “nettoyé” avant que cette phase d’inhibition n’arrive, il risque de rebondir et le cycle infectieux de repartir à la hausse », conclut Pierre Marshall.
Chez la souris, une production d’interféron rapide et importante se traduit par une pathologie modérée tandis qu’une production lente et chronique conduit à une forme sévère de la maladie. © Park, Annsea, and Akiko Iwasaki. « Type I and Type III Interferons–Induction, Signaling, Evasion, and Application to Combat COVID-19 », Cell Host & Microbe (2020)
Les interférons et les coronavirus
Il y a déjà eu des études réalisées (1, 2, 3, 4, 5) concernant les IFN et les coronavirus avant celle qui a motivé l’écriture de cet article. On sait, par exemple, que pour le SARS-CoV-1 ou le MERS, chez la souris, une augmentation rapide et importante des IFN1 est associée à une charge virale contrôlée et une maladie moins sévère. À l’inverse, lorsque celle-ci s’avère lente et devient chronique, la charge virale s’accroît avant le pic d’interféron nécessaire et la maladie devient sévère. Les injections d’interférons chez le modèle animal permettent de protéger la souris contre le développement sévère de la maladie. Ces résultats sont cohérents avec ceux obtenus par les auteurs de l’étude, publiée récemment dans Science. Aussi, un faisceau de preuves existe concernant les enfants sécrétant moins d’IFN et la sévérité de la maladie causée par le virus syncytial.
Il est cependant encore trop tôt pour parler de causalité. L’étude possède des limites clairement assumées par les auteurs eux-mêmes, comme le faible nombre de patients et le design peu élaboré de l’étude, dont les résultats ont été obtenus grâce à des analyses biologiques (pour le niveau d’IFN) et par un classement de sévérité fait au moment de l’admission. « Cette sévérité a pu évoluer au fil du temps, et c’est pour ça que les auteurs ont pu observer cette association entre le niveau d’IFN1 au moment de l’admission et la sévérité de l’évolution de la maladie. Toutefois, les analyses biologiques n’ont été réalisées qu’une seule fois. Une étude longitudinale consisterait à réaliser un suivi du niveau des interférons chez les patients, cela permettrait de connaître le détail de la cinétique des interférons chez les malades ayant une bonne ou une mauvaise évolution et d’avoir une meilleure compréhension de la qualité des IFN en tant que marqueurs pronostiques », détaille Pierre Marshall.
Il y a eu beaucoup d’études qui se sont intéressées aux rôles des interférons dans le cadre d’infections aux coronavirus. © Antonio Rodriguez, Adobe Stock
Un des auteurs de l’étude, le Professeur Benjamin Terrier, nous confirme qu’« il est très important en sciences, de manière générale, que les résultats obtenus par une équipe puissent être confirmés par d’autres groupes, et d’autres approches expérimentales. Des données sur des lignées de cellules humaines et chez l’animal ont retrouvé des résultats tout à fait comparables sur le défaut de production d’IFN1 au cours de la Covid-19, et un autre groupe français pratiquant un dosage d’interféron alpha a également mis en évidence ce défaut de production d’interféron alpha chez les patients sévères. Parallèlement à cela, des équipes de recherche, notamment à l’Institut Imagine avec qui nous avons collaboré, travaillent sur les mécanismes qui pourraient expliquer ce défaut d’IFN, les hypothèses principales étant soit un défaut induit par le SARS-CoV-2, soit un terrain génétique particulier des personnes infectées ».
Pour ce qui concerne le SARS-CoV-2, les résultats sur la dexamethasone de l’étude britannique Recoveryviennent aussi s’ajouter au faisceau de preuves dont nous parlions. « Les résultats de l’essai RECOVERY confirment l’importance dans les formes graves de réduire l’orage inflammatoire, dans cet essai par le biais d’un corticoïde, la dexamethasone. D’autres molécules bloquant cet orage inflammatoire ont été évaluées avec des résultats préliminaires encourageants. L’efficacité de ces traitements n’est cependant pas parfaite, d’où l’importance de mieux comprendre les mécanismes expliquant les dysfonctionnements immunitaires, afin de proposer des stratégies encore plus adaptées et efficaces », relate le Professeur Terrier.
Aussi, des études sont en cours pour confirmer ou infirmer la capacité prédictive du dosage des IFN1 dans le cadre de la Covid-19 et leur utilité pour soigner les patients. Selon le Professeur Terrier « des études seront réalisées sur des prélèvements de patients ayant été conservés pendant l’épidémie de Covid-19, avec notamment des dosages des IFN1. Il poursuit : pour ce qui concerne les essais cliniques, certains ont débuté ou sont sur le point de commencer dans le monde ou en France. Un essai sur l’interféron alpha en aérosol a été conduit en Chine et un essai débutant aux États-Unis va évaluer un autre type d’IFN important dans la défense contre les virus, à savoir l’IFN lambda. En France, l’essai DISCOVERY a étudié le lopinavir/ritonavir en association à l’IFN bêta, sans franc signal d’efficacité. Si une nouvelle vague d’épidémie devait survenir en France, nous devrions, dans le cadre de la plateforme d’essais CORIMUNO, évaluer la combinaison d’IFN alpha avec un anti-inflammatoire ».
Pour l’instant, il faut donc être prudent quant à la capacité de ce taux d’IFN1 à être un bon marqueur prédictif de l’aggravation de la maladie, même si la piste est jugée très sérieuse et pourrait s’avérer un véritable atout pour soigner les malades.
Explication plausible et pratique clinique
Ces résultats, bien que limités, possèdent une robustesse par les observations antérieures réalisées et les mécanismes explicatifs à l’œuvre que nous connaissons. En effet, les coronavirus qui affectent l’humain savent se défendre et échapper aux effets des IFN. « Lorsqu’ils répliquent leur génome ARN dans nos cellules, ils le font dans une sorte de petite bulle pour se cacher des PRR qui détectent les ARN viraux. Les ARN produits par nos cellules disposent de modifications spéciales qui permettent de les distinguer des ARN viraux, mais des études ont montré que le coronavirus causant le SARS peut réaliser les mêmes modifications sur son propre génome pour faire croire à nos cellules que c’est un ARN qui a toutes les raisons de se trouver ici, et que tout va bien (6, 7). Le SARS-CoV-2 dispose de protéines qui ressemblent beaucoup à celles qui réalisent ces modifications, on peut donc supposer que ce mécanisme est conservé chez le virus qui cause la Covid-19. »
Et, même quand le virus est démasqué, il a encore plus d’un tour dans son sac pour inhiber la production d’IFN ou les conséquences de leur production. « Concernant le SARS-CoV-2, son génome diffère des deux autres coronavirus mentionnés ci-dessus en plusieurs points et de récentes études (en pré-print) suggèrent que cela permet au SARS-CoV-2 de mieux supprimer les interférons in vitro mais le rend paradoxalement plus sensible à ces molécules, toujours in vitro. »
Rappelons-nous ce que nous avons vu plus haut : plus le pic d’IFN arrive avant le pic de charge virale, plus il est efficace. S’il arrive plus tard que ce pic, il peut être inutile, voire délétère. « Des études in vitro ont montré que lors des infections par le SARS-CoV, le pic d’IFN est repoussé dans le temps et arrive après un pic d’autres médiateurs immunitaires, très inflammatoires mais moins efficaces que les IFN pour lutter contre les infections virales (8, 9). Le SARS-CoV-2 pourrait suivre une stratégie similaire en essayant de décaler la réponse IFN dans le temps afin de se répliquer au maximum. Dès lors que la charge virale va augmenter de façon dramatique, le système immunitaire risque de tenter de la contrôler comme il peut. Mais en l’absence de la réponse appropriée, il risque de s’emballer et la multiplication virale importante, associée à ce fameux emballement immunitaire qui va causer la tempêtecytokinique dont on parle tant, va s’avérer délétère pour le patient.
Tous ces mécanismes plus ou moins connus et identifiés sont-ils utiles pour faire des IFN une thérapie de choix ? L’idée n’est pas nouvelle, on la retrouve pour traiter les hépatites B et C et dans certaines formes de cancer. Ils ont aussi déjà été testés contre le SARS-CoV-1 et le MERS-CoV. Les résultats se sont avérés mitigés. Selon Pierre Marshall, cette absence de conclusion franche peut être expliquée par plusieurs points : un nombre relativement faible de patients dans les études, des études principalement rétrospectives où les comorbidités n’étaient pas nécessairement renseignées, l’utilisation de médicaments en stratégies combinatoires (par exemple, avec des corticoïdes ou d’autres antiviraux comme la ribavirine) et surtout, des variabilités importantes entre le moment où les interférons ont été administrés par rapport au début de la pathologie. Toutefois, les essais cliniques se poursuivent encore dans le cas du MERS-CoV. À l’heure actuelle, plusieurs dizaines d’essais cliniques comprenant des IFN ont été enregistrées dans le cadre du traitement de la Covid-19, avec notamment l’essai Discovery piloté par l’Inserm.
Références :
(1) Frieman M. B., Chen J., Morrison T. E., Whitmore A., Funkhouser W., Ward J. M., … & Baric, R. S. (2010). SARS-CoV pathogenesis is regulated by a STAT1 dependent but a type I, II and III interferon receptor independent mechanism. PLoS Pathog, 6(4), e1000849.
(2) Mahlakoiv T., Ritz D., Mordstein M., DeDiego M. L., Enjuanes L., Müller M. A., … & Staeheli, P. (2012). Combined action of type I and type III interferon restricts initial replication of severe acute respiratory syndrome coronavirus in the lung but fails to inhibit systemic virus spread. Journal of general virology, 93(12), 2601-2605.
(3) Channappanavar R., Fehr A. R., Vijay R., Mack M., Zhao J., Meyerholz D. K. & Perlman S. (2016). Dysregulated type I interferon and inflammatory monocyte-macrophage responses cause lethal pneumonia in SARS-CoV-infected mice. Cell host & microbe, 19(2), 181-193.
(4) Zhao J., Li K., Wohlford-Lenane C., Agnihothram S. S., Fett C., Zhao J., … & McCray P. B. (2014). Rapid generation of a mouse model for Middle East respiratory syndrome. Proceedings of the National Academy of Sciences, 111(13), 4970-4975.
(5) Channappanavar R., Fehr A. R., Zheng J., Wohlford-Lenane C., Abrahante J. E., Mack M., … & Perlman S. (2019). IFN-I response timing relative to virus replication determines MERS coronavirus infection outcomes. The Journal of clinical investigation, 129(9).
(6) Chen Y., Cai H., Xiang N., Tien P., Ahola T., & Guo D. (2009). Functional screen reveals SARS coronavirus nonstructural protein nsp14 as a novel cap N7 methyltransferase. Proceedings of the National Academy of Sciences, 106(9), 3484-3489.
(7) Daffis S., Szretter K. J., Schriewer J., Li J., Youn S., Errett J., … & Thiel V. (2010). 2′-O methylation of the viral mRNA cap evades host restriction by IFIT family members. Nature, 468(7322), 452-456.
(8) Yoshikawa T., Hill T. E., Yoshikawa N., Popov V. L., Galindo C. L., Garner H. R., & Peters C. J. (2010). Dynamic innate immune responses of human bronchial epithelial cells to severe acute respiratory syndrome-associated coronavirus infection. PloS one, 5(1), e8729.
(9) Menachery V. D., Eisfeld A. J., Schäfer A., Josset L., Sims A. C., Proll S., … & Chang J. (2014). Pathogenic influenza viruses and coronaviruses utilize similar and contrasting approaches to control interferon-stimulated gene responses. MBio, 5(3).