Guy-Albert Levostre, secrétaire général de l’OPAM (Organisation Patriotique des Agriculteurs de Martinique), partage son point de vue sur l’agriculture martiniquaise au Salon de l’Agriculture 2024. Il exprime son inquiétude quant à la situation agricole moribonde en Martinique. Pour sauver l’agriculture de nôtre île, il n’y a pas 36 solutions : il faut dynamiser notre production et mieux l’adapter.

Qui êtes-vous ?

Je suis Guy-Albert Levorste, secrétaire général de l’OPAM, depuis trois semaines.

Comment pourriez-vous décrire votre expérience au salon de l’agriculture 2024 ?

Fort d’une expérience antérieure en tant que Jeune Agriculteur (JA) et administrateur national au sein du CNJA dans les années 90, ce n’est pas ma première incursion dans le monde des salons agricoles.

Comment pourrait-on décrire la situation agricole de la Martinique actuellement ?

A mon sens, elle est moribonde, car notre production locale couvre seulement 30% de notre consommation dans tous les secteurs. En détaillant, les bovins représentent 20%, le porc 30%  et la volaille 8%. Ainsi, doubler ces chiffres serait une avancée significative. Ce serait déjà très important pour nous.

Pensez-vous que le gouvernement français et les acteurs locaux sont suffisamment conscients de la situation agricole actuelle en Martinique ? Sont-ils actuellement bien informés et proches de la réalité ?

Concernant la gestion de la situation par les autorités locales, je constate que la CTM a pris des mesures concrètes pour faire face à cette problématique persistante. En ce qui concerne la métropole, nous avons récemment entendu un discours du président de la République qui, bien que nouveau dans sa formulation, reflète les préoccupations exprimées depuis un certain temps. Il est maintenant essentiel de passer des paroles aux actes, et j’espère que les engagements énoncés seront effectivement mis en œuvre pour remédier à la situation préoccupante dans le pays.

Beaucoup de stands représentant des marques d’Outre-Mer ont partagé leur satisfaction quant à l’affluence de clients et aux retours positifs qu’ils ont reçus lors du salon de l’agriculture. Peut-on considérer que cette exposition favorise le secteur agricole des régions d’Outre-Mer en mettant en valeur leurs produits locaux ?

Effectivement, avec plus de 780 000 visiteurs, le salon de l’agriculture s’avère être une vitrine significative pour la promotion de la nourriture martiniquaise.

Alors peut-on dire qu’il serait nécessaire de proposer plus de stands martiniquais l’année prochaine pour le salon pour le prochain salon de l’agriculture ?

J’en suis convaincu, et je pense que parmi tous les DOM, nous avons été l’un des plus petits cette année. Nous pensons que les responsables politiques ont compris l’importance de notre présence. Nous devons représenter la Martinique au salon, et j’espère que l’année prochaine, toutes les démarches nécessaires seront entreprises.

Lors d’une conférence de l’OPAM mené en décembre dernier, à propos des problèmes des agriculteurs martiniquais, le thème de l’adaptation a été abordé. Cela consistait à dénoncer certaines mesures de l’Europe qui handicapent le travail des agriculteurs et qui par conséquent ne sont pas appropriées pour la production locale. Serait-il possible de régler certains problèmes de l’agriculture de notre île si nous arrivons à mieux nous adapter ?

Pour résoudre ces problèmes, il serait nécessaire d’arrêter de prendre les décisions à Bruxelles et plutôt les territorialiser. L’idée serait d’adapter les mesures localement, en prenant en compte les spécificités de la Martinique. Actuellement, le fait que les décisions soient prises à Bruxelles entraîne des situations où l’on importe des ressources alors qu’elles pourraient être disponibles localement. En somme, le principal obstacle réside dans le fait que les agriculteurs martiniquais subissent des décisions qui ne tiennent pas suffisamment compte des réalités de leur territoire.

Lors des présentations des produits locaux de la Martinique, on met généralement en avant des éléments exotiques. Ne serait-il pas bénéfique de valoriser également les produits d’autres agriculteurs, étant donné que la diversité des productions, comme les tomates et les carottes, ne se limite pas seulement aux producteurs de goyave, de rhum ou encore de banane ?

La nuance se situe dans le fait que des produits tels que les tomates et les carottes sont fréquemment disponibles en métropole. En conséquence, les visiteurs martiniquais pourraient ne pas montrer beaucoup d’intérêt, étant déjà familiers avec ces produits. Selon moi, la stratégie optimale consisterait donc à mettre en avant des produits uniques et indisponibles sur le continent, créant ainsi une distinction marquée et suscitant un intérêt accru.

Beaucoup soulignent l’importance cruciale de susciter l’engagement des jeunes dans le domaine de l’agriculture. Cependant, on observe fréquemment une mentalité dévalorisante envers les emplois agricoles. Peut-on attribuer à cette mentalité la responsabilité du déficit de main-d’œuvre jeune dans le secteur agricole ?

Moi-même, je me souviens de mes années au collège, où l’on nous suggérait que si l’on ne réussissait pas académiquement, on finirait à travailler dans les plantations, à récolter des bananes, par exemple. Les métiers agricoles étaient souvent dévalorisés. C’était davantage les institutions éducatives et les enseignants qui transmettaient ces idées. Malgré cela, j’ai choisi très tôt de devenir agriculteur. J’ai acquis une formation en administration des services administratifs informatiques (ASAI), mais cela ne m’a pas empêché de suivre ma passion pour l’agriculture. Aujourd’hui, je ne dirais jamais à mes enfants que l’agriculture est inférieure, car j’ai appris par expérience que l’agriculture est ce qui nourrit réellement une nation. On ne peut pas se nourrir d’ordinateurs, mais chaque jour commence avec un petit café, un croissant, et tout cela provient de l’agriculture.

Quelles seraient les perspectives permettant à l’économie agricole de notre île de progresser ?

Trois mesures sont essentielles, à mon avis, pour stimuler l’évolution de l’économie agricole locale. Tout d’abord, il est impératif de remanier la SAFER afin de faciliter l’accès à la terre et à l’installation pour un plus grand nombre d’agriculteurs. Ensuite, la mise en place d’une structure permettant aux petits exploitants d’accéder au FEADER et aux fonds européens est cruciale, ce qui n’est actuellement pas le cas. Enfin, il serait bénéfique de mettre en œuvre un système participatif qui permettrait aux acteurs locaux de contribuer à la prise de décision concernant le POSEI, plutôt que de tout décider à Bruxelles. Ces ajustements favoriseraient l’installation des jeunes, la réforme du système législatif et le préfinancement des petites exploitations et de la diversification, contribuant ainsi au développement de notre agriculture.

Propos recueillis par Thibaut Charles

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