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Blagues graveleuses, remarques déplacées, harcèlement ou agressions : le Syndicat de la magistrature (SM) révèle, dans une enquête publiée ce jeudi, l’ampleur des violences sexuelles et sexistes au sein de la justice française.
Dans les couloirs feutrés des tribunaux, Marion* connaît bien le poids des sous-entendus et des remarques sexistes. Magistrate depuis une dizaine d’années, elle a cumulé les expériences : un supérieur qui insinue que ses bonnes évaluations sont dues à une « promotion-canapé », un collègue qui commente son apparence ou un autre qui, apprenant son divorce, multiplie les avances lourdes par texto. « J’ai des exemples encore plus choquants, mais trop précis pour que les personnes concernées ne se reconnaissent pas », explique-t-elle.
Une enquête révélatrice
Le cas de Marion n’est pas isolé. Une enquête inédite du Syndicat de la magistrature, rendue publique ce jeudi, met en lumière l’ampleur du sexisme et des violences sexuelles dans l’institution judiciaire. Sur les 9 000 magistrats français, 525 ont répondu au questionnaire, révélant que près de 10 % ont été victimes et 15 % témoins de comportements sexistes ou sexuels inappropriés.
Parmi les faits rapportés : du harcèlement ou des outrages sexistes, mais aussi deux viols et dix-neuf agressions sexuelles signalés par des victimes ou témoins. « Cela fait longtemps que nous travaillons sur ces questions, mais il fallait mesurer et objectiver l’ampleur du phénomène », explique Nelly Bertrand, secrétaire générale du syndicat.
Des témoignages édifiants
L’enquête rapporte des exemples glaçants :
• « Tout le tribunal veut te violer », aurait lancé un magistrat.
• « Une femme dit toujours un peu non avant de dire oui », aurait affirmé un autre.
• Certains comportements vont jusqu’à l’exhibitionnisme, comme un chef de service en érection dans le bureau d’une collègue.
Les propos homophobes ne sont pas en reste. Un magistrat surnommait un collègue homosexuel « le dilaté », tandis qu’un autre déclarait : « Elle est gouine, mais compétente. »
Un sexisme systémique
Bien que les femmes représentent aujourd’hui près des trois quarts des magistrats, le sexisme persiste. Dans neuf cas sur dix, l’auteur des faits est un homme, souvent en position hiérarchique supérieure. « La féminisation de la profession reste inégale dans les postes les plus élevés », souligne Nelly Bertrand.
Le sexisme institutionnel se traduit aussi par des remarques sur la vie personnelle : une magistrate a été critiquée pour sa troisième grossesse, tandis qu’un collègue masculin ayant quatre enfants n’a subi aucun reproche.
Un impact sur les justiciables
Ces comportements posent une question cruciale : comment des magistrats aux propos sexistes ou homophobes peuvent-ils rendre des décisions équitables ? L’enquête rapporte des exemples inquiétants, comme celui d’un magistrat connu pour sa clémence envers les auteurs de violences conjugales, alors qu’il tenait en privé des propos dégradants sur les femmes.
Des solutions encore insuffisantes
Le syndicat appelle à des mesures fortes :
• Une formation obligatoire sur les violences sexistes et sexuelles, notamment pour les chefs de juridictions.
• Une meilleure prise en charge des signalements et un soutien accru pour les victimes.
Entre 2000 et 2024, le Conseil supérieur de la magistrature n’a statué que sur sept affaires de ce type, ce qui illustre la difficulté des victimes à se faire entendre. Seule une sur quatre déclare les faits, par crainte de ne pas être crue ou de subir des représailles.
Un dispositif de signalement, Allodiscrim, existe depuis 2020 et reçoit environ 120 saisines par an. Mais Marion le souligne : la solidarité entre collègues reste essentielle. « Quand on arrive dans une nouvelle juridiction, on se briefe entre nous : ne prends pas l’ascenseur avec untel, fais attention à comment tu t’habilles avec un autre », confie-t-elle.
Ce climat de sexisme ordinaire ternit l’image de la justice et souligne l’urgence d’une réforme en profondeur pour garantir un environnement de travail respectueux et équitable.
(Nom changé)