Nous penchant plus spécifiquement sur les activités et objectifs de la Banque des Territoires sous nos cieux, les lignes qui suivent déroulent un entretien – à trois voix – avec Roland Picot, le directeur-Martinique de l’établissement, efficacement accompagné de Dominique Barras et Fatoumata Komara, toutes deux Chargées de développement territorial au sein de ladite Banque. Echanges croisés.
ANTILLA : Pouvez-vous présenter brièvement vos fonctions à la Banque des Territoires ?
Dominique BARRAS : Je suis chargée de développement territorial sur le métier prêteur pour les sociétés de logement social, pour la construction et la réhabilitation. Nous faisons aussi des prêts aux collectivités territoriales pour des investissements de très long terme, de 25 à 40 ans, voire 60 ans pour des thématiques telles que l’eau. Je travaille aussi sur des dossiers transversaux comme ‘’Petites villes de demain’’ pour le sud de la Martinique (Trois-Ilets, Anses d’Arlet, Sainte-Luce, Vauclin, Saint-Esprit et Rivière-Pilote), où nous prêtons et intervenons beaucoup en ingénierie, notamment en cofinançant des études ou en finançant totalement des études de courte durée sur certaines thématiques, afin d’aider les villes à avancer plus rapidement dans leurs projets de redynamisation. Nous travaillons aussi dans le programme ‘’Action cœur de ville’’, qui développe un peu les mêmes thématiques mais pour des villes de plus grande taille : en Martinique je suis spécifiquement la commune du Lamentin.
Fatoumata KOMARA : Je m’occupe de projets d’investissement : des investissements de type ‘’classique’’ et dans l’économie sociale et solidaire. Je m’occupe également de dossiers d’ingénierie pour des projets ayant besoin d’être accompagnés ou maturés, afin de pouvoir bénéficier par la suite de prêts ou de subventions auprès de l’Etat, de la CTM ou des Fonds européens. Au-delà de ces ingénieries nous avons des dispositifs sous forme de partenariats, comme par exemple ‘’Territoires d’industrie’’, sujet dont je m’occupe également. Enfin je m’occupe de 4 villes du programme ‘’Petites villes de demain’’ dans le nord – à savoir Sainte-Marie, Trinité, le Carbet et Saint-Pierre -, et de Fort-de-France pour le programme ‘’Action cœur de ville’’.
Roland PICOT : Je suis le directeur territorial Martinique de la Banque des Territoires et l’idée est de regrouper, dans les équipes, les métiers de notre Banque c’est-à-dire le prêt, l’investissement et le volet bancaire auprès des professions juridiques. Ce sont les trois ‘’piliers’’ sur lesquels nous nous appuyons pour la Martinique. Avec Mme Komara nous réalisons les opérations d’échanges, de recherche de partenariats éventuels avec des acteurs privés qui souhaitent réaliser des investissements, conséquents et structurants, pour le territoire. Et ceci sur différentes thématiques : les transitions écologique et énergétique dont les énergies renouvelables, les infrastructures immobilières ou industrielles dont le tourisme et particulièrement l’hôtellerie, le numérique, les infrastructures portuaires et aéroportuaires, l’économie mixte, etc.
« L’an dernier nous avons été contributeur à hauteur de 2,5 milliards d’euros au budget de l’Etat »
Avez-vous un exemple récent d’accompagnement de structure par la Banque des Territoires ?
Fatoumata KOMARA : Bien sûr, nous avons récemment accompagné un Centre de Formation d’Apprentis (CFA) situé au Centre d’affaires Dillon-Valmenière à Fort-de-France. Ce CFA a développé des modules dans des volets spécifiques du numérique, comme la programmation et la cyber-sécurité, afin de former des jeunes âgé.e.s de 16 à 26 ans à ces métiers. Nous avons financé ce CFA-Numérique aux côtés de l’Etat et de financeurs privés. Et ce type de projet est loin d’être ‘’petit’’, en termes d’impact financier mais aussi d’impact environnemental, social, etc. D’ailleurs nous travaillons à plusieurs projets de ce type car la majorité du tissu économique martiniquais est composée de TPE (Très Petite Entreprise) qui ne peuvent donc pas aller chercher d’investisseurs. Mais nous ne pouvons pas les laisser sur le ‘’carreau’’, et nous avons des outils adaptés à ces projets-là.
En termes de financements, quels sont les objectifs de la Banque des Territoires ?
Roland PICOT : Nos objectifs sont d’investir ou de prêter, afin que les différents projets aboutissent. Si c’est une maîtrise d’ouvrage publique ce sera du prêt ; si c’est une maîtrise d’ouvrage privée ce sera de l’investissement. Comme vous le savez les banques attendent que le porteur de projet ait des fonds propres, et c’est là où nous accompagnons, avec nos fonds propres, le porteur afin que son projet aboutisse. Et à terme, il faut que nous puissions nous ‘’extraire’’ du projet afin de pouvoir réinvestir ailleurs : cet argent que nous récupérons sera donc investi dans de nouveaux projets. C’est le principe d’un fonctionnement vertueux. Concrètement, comment allons-nous rémunérer des fonds propres ? Si le projet qui a été accompagné fonctionne, nous pourrons récupérer des dividendes ; si la structure ‘’marche’’ bien elle pourra en effet verser des dividendes à ses actionnaires, dont nous faisons partie. Et lors de la revente nous valorisons notre apport initial afin que nous ayons une rentabilité globale, car nous ne pouvons pas investir à perte. Tout ceci passe bien sûr par différentes analyses, très méticuleuses, des dossiers qui nous sont présentés, par des analyses des risques éventuels et par l’étude de la pertinence économique du projet à long terme.
D’où viennent les finances de la Banque des Territoires ? Y-a-t-il des dotations faites par l’Etat ?
Roland PICOT : Non, nous sommes complètement indépendants. Notre gouvernance est une commission de surveillance, mais cette gouvernance n’a pas de lien(s) directe(s) avec la présidence de la République : les membres de cette commission sont nommés par les parlementaires. A l’origine nos finances proviennent en partie des fonds d’épargne et des dépôts des professions juridiques. L’épargne de court terme, déposée sur le Livret A par exemple, sera transformée en prêt de long terme : l’argent déposé sur le Livret A sera collecté et prêté sur 20 à 40 ans, voire davantage pour certains prêts, auprès des collectivités ou des organismes de logements sociaux. Et cette dynamique-là génère progressivement des fonds propres : l’an dernier la Caisse des Dépôts a été contributrice à hauteur de 2,5 milliards d’euros au budget de l’Etat. Des fonds nous sont adressés pour que nous puissions les gérer et les protéger. Et de ces fonds nous générons une dynamique positive et vertueuse, que nous réinvestissons dans des projets sur chacun des territoires, de métropole ou d’outremer.
« Nous engageons à peu près 10 millions d’euros par an aux Antilles-Guyane »
En termes de coût global de projet, quel est le seuil minimum d’intervention pour la Banque des Territoires ?
Roland PICOT : Nous essayons de nous fixer un seuil minimum d’environ 500.000 euros, parfois un peu moins. Et nous engageons à peu près 10 millions d’euros par an aux Antilles-Guyane : c’est notre objectif et notre dynamique. En Martinique il y a par exemple le projet relatif au Club Med, et plus largement la structuration du tourisme. C’est un sujet d’une importance primordiale pour ce territoire, car s’il n’y a pas suffisamment d’hôtels de qualité ‘’demain’’ la destination sera moins pertinente et cela réduira le développement économique de petites structures de services ou d’alimentation. Et les besoins d’investissements en la matière sont colossaux. En fait, nous avons cet œil d’experts-investisseurs qui pourra accompagner avec pertinence le porteur de projet ; l’idée générale étant d’avoir des projets qui soient viables et pérennes, sur 20 à 50 ans.
Fatoumata KOMARA : Parmi les partenaires historiques de la Caisse des Dépôts il y a notamment Initiative Martinique Active, qui est une structure-satellite de la CTM. Et nous avons un fonds, dénommé ‘’contrat d’apport associatif’’, qui finance des projets dont les coûts se situent à partir de 100.000 euros. Nous travaillons beaucoup avec Initiative Martinique Active, avec laquelle nous étions d’ailleurs en binôme pour ce projet de CFA-Numérique. Et ce qui démarque la Caisse des Dépôts d’autres investisseurs, c’est aussi sa capacité à compléter le financement de projets sûrs et porteurs, avant de passer à la phase des investissements.
A titre d’exemples, quels types d’investissements sont portés par les communes de Martinique engagées dans le programme ‘’Petites villes de demain’’ ?
Dominique BARRAS : Elles investissent pour rénover les voiries, pour développer des mobilités douces, etc. Les communes bénéficient de taux privilégiés sur des thématiques comme l’éducation, la mobilité, l’eau et la rénovation énergétique des bâtiments, en vue de réaliser une économie d’énergie suite aux travaux.
« Ce sont des thématiques sur lesquelles nous pouvons être des investisseurs avisés et de long terme »
Pour conclure, quel est l’engagement de la Banque des Territoires dans le domaine des énergies en Martinique ?
Roland PICOT : Nous avons un partenariat avec l’entreprise martiniquaise SYSTEKO, dans le cadre de projets photovoltaïques. Mais nous souhaitons être également présents dans d’autres secteurs, tels que l’éolien par exemple. Nous pouvons aussi intervenir dans la gestion et le traitement des déchets, notamment pour voir comment réutiliser nos déchets afin de créer de l’énergie. Nous pouvons donc nous positionner sur tous ces dossiers ; ce sont des thématiques sur lesquelles nous pouvons être des investisseurs avisés et de long terme, en cohérence avec les priorités du territoire.
Fatoumata KOMARA : Aujourd’hui nous étudions également des dossiers relevant du domaine de l’agriculture, avec l’association VALCACO, du domaine des tiers-lieux, de celui de la pêche, avec le COPEM (Collectif de Pêche de Martinique), du domaine de l’immobilier d’entreprise, etc.
Roland PICOT : Il y a également le secteur de l’aquaponie, pour lequel nous avons signé une convention avec ADDEER (Association pour le Développement Durable, Ecologique et des Energies Renouvelables). L’enjeu est que ce type de culture puisse passer à une échelle suffisamment importante afin de pouvoir limiter des importations, qui peuvent être problématiques en termes d’émissions de CO2 et de coûts de transport. L’idée étant de produire et consommer local. Et de développer l’économie martiniquaise.
Propos recueillis par Mike Irasque