Prix, inflation et vie chère. Trois thématiques indissociables en Martinique. L’Université des Antilles a décidé d’en faire une conférence, en fin de semaine dernière. D’un côté, l’Insee y a présenté son enquête de comparaison spatiale de prix et d’inflation. De l’autre, le professeur d’économie Sébastien Mathouraparsad a exposé les mécanismes de la vie chère.
Ces mots sont sur toutes les lèvres : vie chère. Il ne s’agit pas d’un écueil vieux de 2024 ni de 2009 mais une réalité bien plus ancienne. L’Université des Antilles s’est penchée sur cette thématique qui suscite les passions. Jeudi, à l’amphithéâtre Michel-Louis au campus de Schœlcher s’est déroulée une présentation dépassionnée et factuelle des ressorts de la vie chère.
Depuis 1985, l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) diffuse régulièrement des enquêtes de comparaison de prix entre l’Hexagone et les territoires ultra marins. Le but étant d’avoir une comparaison la plus objective possible. L’Insee n’accompagne d’ailleurs d’aucune analyse ses enquêtes. L’enquête rapporte les différences de prix entre un territoire ultra marin et l’Hexagone. L’enquête n’a pas été conçue pour comparer les territoires entre eux. « Le plus difficile reste l’habillement en termes de qualité. Les critères sont différents pour les Dom et l’Hexagone. Un vêtement qui sera classé en haut de gamme ici, ne sera que gamme moyenne en France Hexagonale », explique le directeur territorial de l’Insee, Bertrand Aumand. La différence entre les deux paniers alimentaires est de 40%. Pas besoin d’analyse, les chiffres sont clairs. « Les produits laitiers, viande, boissons non alcoolisées contribuent le plus à cet écart », précise le directeur. Ce ne sont pas les seuls postes de dépenses où le Martiniquais doit mettre d’avantage la main à la poche : le loyer, les charges et l’entretien d’un véhicule notamment avec une différence de 6%. Le domaine des services de communication (téléphonie mobile et accès à internet) se distinguent eux aussi par un surplus de 37% en Martinique.
Depuis 2010, l’enquête a été reconduite en 2015 puis 2022. La dynamique montre depuis 2010, une augmentation de l’écart de prix entre l’Hexagone et la Martinique.
Ces écarts persistants peuvent se manifester de différentes façons selon Sébastien Mathouraparsad, professeur en économie à l’Université des Antilles. On en retrouve trace dans l’histoire. « Il y a des schémas de dépendances qui se créent notamment à partir du pacte colonial. Cela a laissé des traces dans le développement de ces territoires. » Le professeur affirme que les écarts de prix ne sont pas apparus en 1946 ni 2009. Ils existent depuis la création de ces territoires ultra marins.

La vie chère va de pair avec des faibles revenus. Les écarts de salaires datent en Martinique. « Au sortir de l’abolition de l’esclavage en 1848, les inégalités de salaires sont apparues. Il y a eu un dédommagement des propriétaires d’esclaves d’un montant de 126 millions de francs or. Aucune somme n’a été versée aux anciens esclaves. » Outre cette inégalité, les aléas climatiques et l’insularité contribuent aux difficultés économiques des territoires. Sébastien Mathouraparsad explique également que grâce à ses territoires périphériques, la France possède le deuxième domaine maritime du monde.
Le professeur s’est aventuré à chercher la première allusion à la vie chère dans la littérature économique. Elle date de 1910, en Guadeloupe lors d’une grave crise agricole et sociale. Plus de 100 ans après, la vie chère est encore une caractéristique du paysage économique des Antilles.

Dans les années 1970, le secteur de l’agriculture se taillait la part du lion dans le PIB, plus de 20%. Aujourd’hui, les tendances ont changé. La contribution des parts agricole et industrielle ne constituent plus qu’une faible part du PIB martiniquais. Un PIB qui, tout comme les autres territoires ultra marins, reste en queue de peloton des régions françaises. « Ce sont donc des régions relativement pauvres par rapport au reste des régions de l’Hexagone », précise Sébastien Mathouraparsad.
L’étroitesse des marchés et l’insularité impactent les prix. « Quand il y a peu d’offre locale, elle est compensée par l’importation. Or, les importations sont grevées par les taxes », explique le professeur en économie. Ce dernier détaille les étapes que fera un produit importé pour arriver sur les étals locaux. Un premier intermédiaire intervient pour transporter le produit depuis l’usine. Puis le produit est mis en conteneur qui sera lui-même transporté à la douane, donc transit de port. Voyage en bateau. L’importateur récupère le produit. Transport direction les grossistes. Puis les détaillants chez qui le Martiniquais va faire ses achats.
La Martinique est passée d’une colonie extractive – par opposition à une colonie de peuplement, comme les Etats-Unis – à une économie extractive. Une colonie extractive est une colonie où les colons sont venus extraire les richesses. Sébastien Mathourapardad s’appuie sur les travaux du trio lauréat du prix Nobel d’économie Daron Acemoglu, James A. Robinson et Simon Johnson. « Le retard des économies extractives est dû à cette situation institutionnelle. Ce sont les institutions mises en place à l’époque qui s’inscrivent dans le temps et qui expliquent pourquoi il y a ce retard de développement », affirme le professeur.
Laurianne Nomel