C’est une histoire qui finit bien et qui montre le visage humain de la Justice. Cette histoire est racontée par Eric Maurel, procureur général de Basse-Terre sur son compte X (anciennement Twitter).
Ce mercredi matin (21 février 2024), à la cour d’appel de Basse-Terre, lors de l’audience en droit des étrangers. 4 Haïtiens faisant l’objet de décisions de prolongation de rétention, de reconduite à la frontière et de refus d’assignation à résidence.
Parmi eux, celui qu’Eric Maurel désigne comme “Monsieur O.”. L’homme vit en Guadeloupe depuis plusieurs années. Un séjour irrégulier d’où sa présence au tribunal ce mercredi. Il vit en famille avec sa femme et ses enfants. Le foyer a peu de ressources.
“Monsieur O.”, interrogé par le procureur, dit vivre de petits boulots non déclarés. Des “jobs” peu ou pas payés…
Les mains de monsieur O. sont zébrées de cicatrices. Son visage le fait croire bien plus vieux qu’il n’est en réalité.
L’homme qui s’est présenté au tribunal ce jour-là est inconnu des services de police et n’a aucune mention à son casier judiciaire.
Mais, précise le procureur, “son dossier se présente mal“. Il l’explique :
Tout, sur le plan juridique, conduit à une reconduite en Haïti. Nul, dans la salle d’audience, n’ignore ce que subissent les Haïtiens dans un climat de violence exacerbée, de conflits entre gangs, de déliquescence des structures étatiques.
L’audience prend alors un tour inattendu…
C’est en créole haïtien que Monsieur O. prend la parole. Son avocate le laisse faire, avant de plaider en droit. Il s’exprime avec une bonne élocution et “sans l’aide de l’interprète qui lui traduit ce que disent les magistrats, il parvient à se faire comprendre”.
Une prise de parole qui fait son effet sur l’ensemble de l’auditoire, explique Eric Maurel.
Monsieur O. est naturellement souriant, sincèrement aimable, respectueux. On comprend vite que ce n’est pas une posture utilitaire et de circonstance. Il attire vite la sympathie de la présidente d’audience, du représentant du ministère public.
Eric Maurel
L’homme parle de son quotidien, vivant avec peu… Un train de vie spartiate mais qui ne lui fait pas oublier qu’il “est heureux que sa femme, ses enfants et lui soient en vie”. Il en rend grâce à Dieu.
Monsieur O. demande alors de pouvoir rester en Guadeloupe, pour rester en vie. Il fait part de son inquiétude pour ses enfants. “Comment mangent-ils depuis qu’il est en Centre de rétention ?“. Il s’interroge aussi sur leur devenir s’il était amené à être expulsé. Auront-ils de mauvaises fréquentations ?
Pendant tout son discours, “ce justiciable est écouté, longuement et patiemment, par la juge, la greffière, l’avocate et le parquetier” raconte le procureur général.
Les débats révèlent que Monsieur O., “enfin plus probablement La Cimade”, l’association de solidarité active avec les personnes étrangères et défense des droits, a exercé un recours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme. Celle-ci a demandé à la France de surseoir à toute mesure d’éloignement.
Une décision qu’entend Eric Maurel qui requiert alors la mise en liberté de Monsieur O. “si une assignation à résidence n’est pas possible”.
Une réquisition que l’interprète traduit.
À cet instant, le regard de cet homme est plein d’une humanité qui nous renvoie au sens de ce que nous faisons et à l’affirmation d’un humanisme judiciaire.
Eric Maurel sur le réseau social XSi le père de famille esquisse un sourire, la peur le rattrape… “Son corps est tendu” écrit le procureur.
Avant de poursuivre : “La présidente met l’affaire en délibéré. Ses mains tremblent un peu. Elle regarde l’homme partir encadré par deux policières de la Police aux frontières. Les épaules de Monsieur O. se sont un peu affaissées. Il ne parle plus. Une des policières lui donne, avec un grand sourire, une petite tape dans le dos”.
Le procureur général termine son post en indiquant que Monsieur O. au moment de sa narration sur X, a dû recevoir la notification de la décision rendue sur appel d’une ordonnance du juge des libertés et de la détention.
Monsieur O. a été remis en liberté.
Justice est passée.