La Martinique, carrefour stratégique des routes maritimes entre les Amériques et l’Europe, se trouve aujourd’hui confrontée à une réalité alarmante : elle est devenue l’un des principaux points de transit de la cocaïne destinée au marché européen. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), plus de 10 % de la cocaïne consommée en Europe transite désormais par les Antilles françaises, principalement via la Martinique et la Guadeloupe. En 2023, les saisies de drogue dans les ports français d’outre-mer ont atteint des records, avec plus de 20 tonnes interceptées, dont une part significative à Fort-de-France.
Ce trafic n’est pas sans conséquence pour la société martiniquaise. La criminalité liée au narcotrafic et au trafic d’armes connaît une hausse préoccupante : en 2023, la Martinique a enregistré une augmentation de plus de 30 % des homicides, dont une majorité liée à des règlements de comptes sur fond de trafic de stupéfiants. Cette violence se répercute sur l’ensemble du tissu social et économique, alimentant l’insécurité et la défiance envers les institutions.
C’est dans ce contexte tendu qu’a éclaté, le 19 mai dernier, une polémique entre Serge Letchimy, président du Conseil exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), et Bruno Mencé, président du directoire du Grand Port Maritime de la Martinique (GPMLM).
Par communiqué de presse, Serge Letchimy a appelé la direction du port à prendre « des mesures immédiates et concrètes pour renforcer la sécurité portuaire », pointant la « responsabilité stratégique du port en matière de contrôle des flux de marchandises ». Parmi ses propositions : l’acquisition d’un scanner fixe pour le contrôle systématique des conteneurs et la création d’un référent douane dédié, ainsi que la convocation immédiate de la Commission des investissements du port.
La réponse de Bruno Mencé ne s’est pas fait attendre.
Rappelant que « les missions de contrôle des marchandises et de lutte contre la fraude douanière relèvent de la compétence exclusive de l’État », il a souligné que le scanner mobile en cours de déploiement est un équipement douanier, dont l’utilisation et le taux de contrôle relèvent également de l’administration des douanes. Il a aussi mis en avant les efforts déjà engagés par le port : sanctuarisation du terminal à conteneurs, contrôle d’accès biométrique, caméras intelligentes, renforcement des équipes de sûreté.
Si chaque acteur institutionnel défend ses prérogatives, la gravité de la situation impose de dépasser les querelles de compétences. Face à l’ampleur du narcotrafic et à ses conséquences dramatiques pour la Martinique, la priorité doit être à la coopération et à la mobilisation de tous : État, collectivités, autorités portuaires, services de sécurité, douanes. L’exigence d’efficacité commande de coordonner les moyens, de partager l’information et d’investir dans des dispositifs de contrôle et de prévention à la hauteur des enjeux.
La Martinique ne peut se permettre de devenir le maillon faible de la lutte contre le narcotrafic en Europe. Plus qu’un débat institutionnel, c’est un enjeu de sécurité, de santé publique et de cohésion sociale qui se joue aujourd’hui sur les quais de Fort-de-France. Les Martiniquais attendent des actes, pas des passes d’armes, aussi pertinentes soient-elles. Et ce n’est pas insulter l’intelligence de ces deux hommes dont nous connaissons les qualités, que de le leur rappeler…
Gérard Dorwling-Carter
Ps: cette polémique en tous les cas aura eu effet de démontrer une fois le plus que l’État n’assume pas ses responsabilités outre-mer même lorsque cela peut entraîner des conséquences très graves pour l’hexagone.