À la suite de la visite du Ministre d’État des Outre-mer, le Président du Conseil Exécutif, Serge Letchimy, a souligné que les échanges avaient été marqués par une volonté de co-construction autour des enjeux majeurs du territoire.
Il a ainsi résumé les attentes de la Martinique, qui reposent sur plusieurs axes essentiels.
Les Martiniquais attendent des engagements concrets de l’État pour sortir d’un modèle économique marqué par un développement insuffisant et des inégalités persistantes. Ils demandent également des actions fortes pour lutter contre la vie chère, assurer l’autonomie alimentaire, favoriser le retour des forces vives et améliorer l’accompagnement social. La revendication d’une égalité réelle et d’un soutien structurant est aussi au cœur des préoccupations, afin de corriger les déséquilibres historiques de la Martinique. Un autre point clé concerne la prise en charge des Aides Individuelles Sociales (APA, PCH, RSA), où l’État ne compense pas intégralement les dépenses de la Collectivité, laissant un déficit annuel de plus de 150 millions d’euros, précise le président de l’exécutif.
Pour aller plus loin.
Si cette énumération est relativement complète, d’autres aspects structurants doivent être ajoutés, tels que le développement des infrastructures et des services publics (transports, santé, éducation) pour mieux répondre aux besoins de la population, la transition écologique et énergétique en vue d’une autonomie énergétique et d’une adaptation au changement climatique, le soutien à l’innovation et à la transformation numérique pour dynamiser les entreprises locales, la mise en place d’une politique foncière adaptée pour pallier les freins au développement local, ainsi que l’amélioration de la gouvernance locale avec une réflexion collective sur le statut de la Martinique et sur les leviers de décision à renforcer. Un cadre institutionnel plus adapté pourrait être envisagé, en plaidant pour une autonomie de gestion accrue dans certains domaines stratégiques (économie, fiscalité, social) et en expérimentant des politiques publiques locales spécifiques adaptées aux réalités du territoire, sans remettre en cause le rattachement institutionnel au cadre français et européen. Ce qui apparaît comme un souhait majoritaire des martiniquais.
Pour un développement économique.
Pour parvenir à une mise à niveau de l’économie martiniquaise, plusieurs solutions de fond pourraient être envisagées. Une première piste serait une refonte des modèles économiques et productifs, en encourageant les circuits courts et la transformation locale des matières premières (agriculture, pêche, artisanat), en développant des filières d’excellence comme l’agroécologie, le tourisme durable et l’économie bleue, et en renforçant les coopérations régionales dans la Caraïbe afin de diversifier les débouchés économiques.
La lutte contre la vie chère et la dépendance économique constitue un autre levier, avec des mesures comme la réforme bien pensée de l’octroi de mer pour favoriser davantage la production locale, le renforcement de la concurrence et de la régulation des prix sur les biens de consommation courante, ainsi que le développement de la finance solidaire et des banques locales pour faciliter l’accès au crédit des entreprises martiniquaises.
Des mesures d’accompagnement
Par ailleurs, il serait essentiel d’accompagner les forces vives et de favoriser le retour des talents en mettant en place des incitations fortes pour les jeunes diplômés et entrepreneurs martiniquais, tout en développant un enseignement supérieur et une formation professionnelle mieux adaptés aux réalités économiques locales. Un véritable pacte économique et social entre l’État et la Martinique, basé sur des engagements clairs et des financements adaptés, pourrait ainsi être la clé pour engager un développement plus équilibré et durable.
Dans l’immédiat, un rééquilibrage des aides publiques s’impose, notamment par une compensation intégrale des Aides Individuelles Sociales par l’État et la création d’un fonds de rattrapage pour financer les infrastructures et services publics.
La zone franche sociale
Dans cette optique, la mise en place d’une zone franche sociale en Martinique pourrait être une réponse efficace aux défis économiques et sociaux du territoire. L’idée serait d’alléger le coût du travail et d’encourager la création d’emplois tout en soutenant les entreprises locales.
Une zone franche sociale consisterait à accorder des exonérations de charges sociales (patronales et salariales) et/ou fiscales aux entreprises en Martinique, en échange de créations d’emplois locaux et d’investissements productifs. Ce dispositif aurait plusieurs objectifs : encourager l’emploi local en réduisant le coût du travail, stimuler l’entrepreneuriat et les investissements, attirer les talents et favoriser le retour des forces vives en offrant un cadre économique plus attractif, dynamiser certains secteurs stratégiques (tourisme durable, agro-industrie, économie numérique, énergies renouvelables) et lutter contre la vie chère en facilitant la production locale et en réduisant la dépendance aux importations. Pour garantir son efficacité, plusieurs modalités d’application devraient être mises en place : exonérations de cotisations sociales patronales pour les nouvelles embauches, avantages fiscaux pour les entreprises s’engageant à investir et à recruter localement, dispositifs de soutien spécifiques pour les secteurs clés et accompagnement administratif et financier pour faciliter la création et la pérennisation des entreprises. Toutefois, certaines conditions de réussite doivent être respectées. Il s’agirait d’éviter les effets d’aubaine, comme cela a pu apparaître par le passé pour le défiscalisation, en s’assurant que les entreprises bénéficiaires prennent de réels engagements, de garantir que les créations d’emplois sont durables et non limitées à la période d’exonération, d’intégrer une dimension sociale et formatrice pour favoriser l’insertion des jeunes et des demandeurs d’emploi, et enfin de négocier avec l’État une compensation financière pour éviter que la Collectivité ne supporte seule la perte de recettes. La France a déjà mis en place des zones franches urbaines (ZFU) et des exonérations spécifiques pour les départements d’outre-mer (exonération LODEOM), mais ces dispositifs restent souvent insuffisants. Une zone franche sociale spécifiquement adaptée à la Martinique permettrait d’aller plus loin et de répondre de manière plus efficace aux enjeux du territoire. En conclusion, la création d’une zone franche sociale en Martinique pourrait être un levier puissant pour relancer l’économie et l’emploi. Toutefois, elle doit s’inscrire dans une logique de développement durable, en assurant un équilibre entre incitations économiques et justice sociale. Pour être véritablement efficace, une concertation approfondie avec l’État et les acteurs économiques locaux serait nécessaire afin d’en définir les contours et les mécanismes adaptés. Mais il faudrait tout d’abord que le monde économique et les politiques cessent de se regarder en chiens de faïence et acceptent de dialoguer pour assurer leurs devoirs et obligations à l’égard des Martiniquais. Ce n’est vraiment pas trop leur demander …
Gérard Dorwling-Carter