C’est André qui a ouvert le triste bal. La société de chaussures, centenaire, a été placée en redressement judiciaire dès le 1er avril. Depuis cette annonce, les enseignes Naf Naf, la Halle ou encore Camaïeu ont pris le même chemin. Le 22 juin c’était au tour de Célio, spécialisé dans le prêt-à-porter masculin, d’annoncer une procédure de sauvegarde. Il faut dire qu’après les Gilets jaunes et les grèves… il était difficile pour ce secteur de résister aux chocs liés à la crise sanitaire. Ainsi, selon l’Institut français de la mode (IFM), “pour les cinq premiers mois de l’année 2020, les chiffres d’affaires des distributeurs (hors vente à distance) ont accusé un retrait de 29,6 % par rapport à la même période de 2019”.
Si le Covid-19 a porté le coup de grâce à ces enseignes, le secteur se porte mal depuis longtemps déjà. Depuis 2008, le marché a perdu 15 % de sa valeur à cause, notamment, d’une baisse de la consommation de vêtements mais aussi du changement de comportements des consommateurs qui se tournent de plus en plus vers l’occasion et le seconde main. “On a une conjonction de plusieurs phénomènes”, explique Thomas Delattre, professeur à l’IFM. “Cela fait cinq à dix ans que ces enseignes de moyenne gamme rencontrent des difficultés. Sur ce segment, le marché est saturé, il y a énormément de concurrence”, ajoute-t-il.
Un secteur plus lourd que “l’aéronautique et l’automobile”
Surtout, face à la baisse de la consommation du textile, à la concurrence de mastodontes comme Zara et H&M, les enseignes ont eu tendance à ouvrir des magasins pour attirer la clientèle et compenser les pertes. Un modèle insoutenable qu’elle paye aujourd’hui. Malgré cette difficile situation, le secteur n’a pas obtenu de prêt garanti par l’État (PFE) qui aurait pu l’aider à se relever.
“Bercy a fait le choix de l’industrie, en soutenant Renault, Air France, l’aéronautique. Pas celui du commerce. Cette absence de soutien nous achève”, dénonce dans Le Monde Yohann Petiot, directeur général de la fédération Alliance du commerce. Pourtant, le secteur pèse lourd en France. Selon la Direction générale des entreprises, le secteur de la mode et du luxe, en y intégrant les produits de beauté et de maroquinerie, représente plus que “l’aéronautique et la construction automobile réunis” avec un chiffre d’affaires atteignant les 150 milliards d’euros.
“La mode responsable est clairement une opportunité”
Pour perdurer, les enseignes vont donc devoir changer de cap. Car la partie n’est pas finie. La justice peut ordonner une période d’observation pouvant aller jusqu’à 18 mois. C’est le cas notamment de la Halle pour laquelle le tribunal de commerce de Paris a accepté un sursis de six mois permettant ainsi l’étalement du règlement de certaines créances et la suspension du paiement des loyers. “Dans les mois à venir, on va pouvoir observer l’agilité de ces enseignes”, note Thomas Delattre. Deux éléments seront scrutés à la loupe : la digitalisation, pour celles qui n’ont pas encore pris le virage du numérique, et l’éco-responsabilité.
“La mode responsable est clairement une opportunité. Comme pour le digital, certaines sociétés s’en sont sorties sans, mais celles qui ont pris tôt cet engagement s’en sortent mieux”, résume l’expert. Et de fait, pendant la crise du Covid-19, les marques de mode qui avaient misé avant le confinement sur des chaînes d’approvisionnement plus courtes, plus résistantes et plus transparentes ont fait preuve de résilience. Elles peuvent “mieux contrôler les situations inattendues”, note le journal de mode WWD.
Marina Fabre, @fabre_marina