ATLANTICO GREEN
Une étude alerte sur un ralentissement de la circulation océanique méridienne dans l’Atlantique, un ensemble de courants dont fait partie le Gulf Stream.
Atlantico : Une étude du Potsdam institute for climat impact research publiée dans Nature montre un ralentissement de la circulation océanique méridienne dans l’Atlantique (AMOC, Atlantic Meridional Overturning Circulation diminue). Avant tout chose, qu’est ce que l’Amoc ?
Didier Swingedouw : L’Amoc est la quantité d’eau qui remonte vers les hautes latitudes de l’Atlantique nord, avant de plonger au fond de l’océan et de redescendre vers le sud – un peu comme un ruban ou un tapis roulant, mais en plus complexe. On peut mesurer ce volume d’eau a différentes latitudes. Un outil de mesure, installé en 2004, va de la Floride au Sénégal. Il permet de mesurer et de bien identifier l’ensemble des courants qui montent vers le nord à une profondeur de 0 à 1000 mètres, et ceux qui reviennent vers le sud à une profondeur de 1000 à 4000 mètres. L’Amoc correspond à ce débit, qui est d’environ 20 millions de mètres cubes par seconde à l’heure actuelle. En résume, l’Amoc est une moyenne de courants. On a souvent assimilé l’Amoc au Gulf Stream, mais ce dernier est un courant précis en océanographie, qui fait partie de l’Amoc.
Cet Amoc transporte beaucoup d’eau, et donc beaucoup de chaleur. Il transporte l’eau des tropiques vers les hautes latitudes, ce qui explique son effet sur le climat, les températures et par voie de conséquence la structuration de l’atmosphère : les régimes de pluie au niveau des tropiques, le développement des tempêtes, etc.
Plusieurs études semblent indiquer un ralentissement de cet Amoc. Comment peut-on le mesurer ?
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Ce ralentissement a en effet été observé, de manière indirecte. On mesure l’Amoc depuis 2004, (grâce à un ensemble de bouées fixes avec des câbles allant jusqu’au fond de l’océan) du fait justement des inquiétudes liées aux possibles changements qu’il connaîtrait. Nous n’avons donc des mesures que depuis 2004 : c’est peu, car les variations naturelles de l’Amoc se font à des échelles de temps décennales voire multi-décennales. Dans les faits, nous avons observé de 2004 à 2012 une diminution de l’Amoc, et depuis 2012 une relative stabilité. Ce n’est donc pas ces mesures qui nous disent que l’Amoc diminue. Ce qui nous met la puce à l’oreille, c’est plutôt l’observation des températures de surface des océans, qui sont prises depuis plus longtemps – jusqu’à 1870 dans l’Atlantique nord. Grâce à ces données, on observe un fait surprenant dans la zone située entre l’Irlande et le Canada, au sud de l’Islande et du Groenland : elle ne se réchauffe pas. Quand on fait une carte de tendances sur 100 ans, on voit des tendances claires d’augmentation des températures partout dans le monde, sauf dans cette zone où un très léger refroidissement est observé. Or, la température dans cette zone là est, entre autres, liée à l’Amoc. Si on se base sur cette indice-là, on peut donc en déduire une diminution de l’Amoc. Mais ce n’est pas le seul indicateur : la salinité a aussi tendance à baisser.
Une estimation chiffre cette diminution à 15%, ce qui commence à être conséquent. Les modèles de climat avaient déjà prédit une diminution de l’Amoc, mais plutôt dans les 5%. Il reste donc de l’incertitude sur les causes de cette diminution de 15% : qu’est-ce qui est dû à la variabilité naturelle, et qu’est-ce qui est dû au réchauffement climatique ? Il y a beaucoup de travaux en cours à ce sujet. Il est trop tôt pour dire : « si ça diminue, c’est à cause de l’effet de serre ». Par contre, on sait qu’à l’horizon 2050 ou 2100, il y aura selon les modèles une réduction de la circulation. La question est : de combien ? Certains modèles disent 20%, mais d’autres disent 70%. Cette incertitude s’explique par la complexité de ces systèmes.
Quelles sont les conséquences et les risques de cette diminution ?
Si ça diminue de 70%, comme le prédisent les modèles les plus extrêmes, les impacts seront nombreux et variés. L’effet le plus prégnant d’une diminution de l’Amoc se trouverait dans les régions tropicales et en particulier en Afrique de l’ouest, particulièrement sensible à ce qui se passe dans l’océan Atlantique. Ce qu’on voit dans les modèles et dans les observations paléoclimatiques (analyse de carottes de glace, des sédiments, etc.) est que la variation de l’Amoc a un impact fort sur les régimes de pluie dans les zones tropicales. Cela entraînerait une migration vers le sud des zones de pluie. La zone sahélienne deviendrait extrêmement aride. L’Afrique de l’ouest perdrait 30 à 40% de précipitations et en conséquence, les rendements de l’agriculture seraient très fortement affectée, avec un impact humain important.
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L’Europe serait aussi affectée. Le ralentissement de l’Amoc entraînerait un rafraîchissement du climat en hiver. Mais en même temps, il y a un réchauffement climatique en cours. Les deux effets ont donc tendance à se compenser. Cela va moduler l’expression du changement climatique en Europe. Tout le monde se prépare à des températures extrêmes, mais ce ralentissement est un perturbateur de ces prévisions. Un autre élément est que le ralentissement de l’Amoc peut aller plus vite que le réchauffement climatique. C’est donc une source d’incertitudes majeures dans les prévisions climatiques.
Ce phénomène aura aussi un effet sur la vie marine, car changer les courants modifie la distribution des nutriments dans l’océan, ce qui affecte toute la chaîne alimentaire. Le dernier effet, qui est plutôt contre-intuitif, est l’impact sur le niveau des océans : un courant plus faible entraîne un niveau marin plus élevé. Cela pourrait représenter 10, 15 centimètres en Europe. Ce n’est pas énorme, mais ça s’ajoute à l’élévation des océans due à d’autres facteurs.
Peut-on faire quelque chose pour éviter ce ralentissement ?
Nous savons que plus le réchauffement global est important, plus on a de risques de passer le seuil de ralentissement de l’Amoc. Les objectifs de l’accord de Paris, avec une augmentation de la température de 1,5 à 2°, les modèles montrent une diminution de 5 à 23% de l’Amoc. Des outils de géo-ingénierie sont aussi évoqués, mais techniquement c’est irréalisable du fait des quantités énormes de sel qu’il faudrait injecter dans l’océan.