Parmi les jeunes élus martiniquais, la politique n’est plus seulement affaire d’ambition personnelle ou de fidélité partisane. Elle s’incarne désormais dans des parcours marqués par l’engagement associatif, la volonté de transformation sociale et une réflexion profonde sur l’avenir du territoire. À travers les figures de Laurent Caclin et Cynthia Yerro, dont les interviews ont été publiés dans le quotidien local; se dessine le visage d’une génération qui revendique à la fois efficacité, proximité et ouverture sur de nouveaux horizons institutionnels.
Laurent Caclin, ancien financier expatrié, a choisi de revenir en Martinique pour s’investir dans l’enseignement, convaincu que l’éducation constitue le socle du développement social et citoyen. Pour lui, les failles du système éducatif expliquent nombre des difficultés rencontrées par la société martiniquaise. Désormais troisième adjoint au maire de Saint-Joseph, en charge de l’éducation, il place la création d’opportunités pour la jeunesse au cœur de son action. Sa vision politique, fondée sur l’équité, l’efficacité et l’écoute, s’inscrit dans une démarche de service public dénuée de tout plan de carrière, où l’intérêt général prime sur les ambitions individuelles.
Cynthia Yerro, vice-présidente du parti Péyi-a et suppléante du député Marcellin Nadeau, incarne quant à elle une jeunesse martiniquaise formée et engagée. Issue du tissu associatif du Marigot, elle a très tôt pris conscience de la nécessité d’agir pour son territoire. Son engagement politique s’est imposé naturellement, nourri par l’histoire familiale et la conviction que la souveraineté martiniquaise doit être portée par une prise de conscience collective. Cynthia Yerro rêve d’une Martinique où les habitants réclameraient eux-mêmes la souveraineté, mais pointe les freins persistants : manque de connaissance des atouts locaux, inégalités, peur de perdre le soutien de la France.
Un autre discours.
Au-delà de leurs trajectoires individuelles, ces jeunes élus illustrent une recomposition des pratiques et des discours politiques en Martinique. Leur engagement, souvent précoce, s’ancre dans une forte implication citoyenne et une volonté de dépasser la simple dénonciation des difficultés pour proposer des solutions concrètes. L’éducation apparaît comme un levier fondamental, tant pour la cohésion sociale que pour la construction d’une citoyenneté active. Leur rapport à la politique se veut décomplexé : il s’agit moins d’une carrière que d’un engagement au service de l’intérêt général, avec la liberté de se retirer si l’action n’est plus jugée utile.
Cette génération met également en avant la valorisation des spécificités locales, qu’il s’agisse de la culture, des ressources humaines ou du potentiel économique du territoire. Si la question de la souveraineté reste clivante, elle est abordée avec pragmatisme. Pour certains, comme Cynthia Yerro, l’émancipation politique ne pourra advenir que par une pédagogie de la responsabilité, une meilleure connaissance des réalités martiniquaises et une transition progressive, afin d’éviter tout effondrement économique ou social.
Les obstacles à une plus grande autonomie demeurent nombreux.
Le cadre constitutionnel français, avec le principe d’identité législative, limite fortement la capacité de la Martinique à adapter ses lois et règlements. Les compétences transférées à la Collectivité Territoriale de Martinique restent partielles, et la reconnaissance des spécificités locales se heurte à la lenteur des négociations avec l’État. La population elle-même reste divisée, comme l’ont montré les référendums de 2003 et 2010, et la gestion parfois difficile des compétences déjà transférées alimente la défiance.
Les défis budgétaires et économiques sont tout aussi redoutables.
La Martinique dépend massivement des transferts publics français, tant pour son budget que pour le financement des services essentiels. Le vieillissement de la population, la faiblesse du tissu productif, la dépendance aux importations et les déséquilibres fiscaux fragilisent encore davantage le modèle actuel. Une transition vers l’autonomie ou la souveraineté supposerait de compenser la perte des subventions nationales, de réformer la fiscalité et d’engager une diversification économique profonde, sous peine d’un endettement massif et d’une aggravation des inégalités.
Face à ces défis, les jeunes élus martiniquais prônent une approche progressive et responsable, misant sur la formation, l’innovation et la mobilisation de la jeunesse. Ils appellent à un pacte intergénérationnel, à la création d’emplois dans les secteurs d’avenir et à une ouverture maîtrisée sur la région caraïbe. Leur ambition : faire de la Martinique un territoire émancipé, solidaire et résilient, capable de se réinventer sans renier ses acquis sociaux.
Dans un contexte de recomposition politique et de crises récurrentes, cette nouvelle génération incarne l’espoir d’un renouveau démocratique, fondé sur l’écoute, l’action et la confiance dans la capacité des Martiniquais à écrire leur propre histoire. Mais est elle assez nombreuse?
Gérard Dorwling-Carter.