L’histoire agricole des Antilles françaises est profondément marquée par la période coloniale, qui a imposé un modèle centré sur les cultures d’exportation, principalement la canne à sucre puis la banane. Dès le XVIIe siècle, les terres ont été organisées en « habitations », vastes exploitations gérées par des colons et exploitées par une main-d’œuvre servile, avec pour objectif principal d’alimenter les marchés européens. Cette structuration a orienté l’essentiel des ressources foncières et humaines vers la production de matières premières destinées à l’export, marginalisant la polyculture vivrière pourtant pratiquée par une partie de la population locale.
Au fil des siècles, la canne à sucre est devenue le pilier de l’économie insulaire, au point que le sucre servait de monnaie d’échange dans les îles. Plus tard, la banane a pris le relais comme culture dominante, s’inscrivant dans la continuité de cette logique coloniale et contribuant à la « bananisation » des Antilles, phénomène analysé comme une victoire technique et politique sur la nature, mais aussi comme un facteur de dépendance économique et sociale.
Le jardin créole : un patrimoine menacé
Face à la domination des grandes plantations, les populations locales ont développé des systèmes agricoles alternatifs, notamment le jardin créole. Ce modèle, fondé sur la diversité des espèces et la polyculture, a longtemps permis aux familles rurales d’assurer leur subsistance, de préserver la biodiversité et de transmettre un savoir-faire agroécologique unique. Cependant, la place du jardin créole reste marginale à l’échelle de l’économie agricole globale : il ne suffit plus à garantir l’autosuffisance alimentaire des territoires, notamment face à la croissance démographique et à la transformation des modes de consommation.
Une dépendance alimentaire persistante
L’orientation historique vers l’exportation a eu pour conséquence directe une forte dépendance aux importations alimentaires. Aujourd’hui, près de 80 % des produits consommés dans les Antilles sont importés, exposant la population aux aléas des marchés mondiaux et aux risques de rupture d’approvisionnement. Cette fragilité a été brutalement révélée lors de la crise sanitaire, qui a mis en exergue la nécessité de renforcer la souveraineté alimentaire et de rééquilibrer les priorités agricoles.
Les séquelles d’un modèle inégalitaire
Malgré la départementalisation et les évolutions politiques du XXe siècle, la structure foncière et la logique d’exploitation héritées du passé colonial perdurent. Les grandes exploitations orientées vers l’exportation coexistent avec une multitude de petites unités familiales, souvent cantonnées à la survie économique. Cette dualité freine l’émergence d’une paysannerie dynamique et limite la capacité des territoires à répondre aux besoins alimentaires locaux.
Vers une refondation du modèle agricole
Face à ces défis, la réflexion sur l’avenir agricole des Antilles doit s’appuyer sur une analyse critique de l’héritage colonial et sur une volonté politique affirmée de diversification. Il s’agit de repenser l’affectation des terres, de soutenir les filières locales et de garantir un accès équitable aux ressources et aux aides publiques pour toutes les tailles d’exploitation. L’enjeu est de bâtir un modèle agricole équilibré, capable de concilier autosuffisance alimentaire, valorisation des savoir-faire locaux et maintien d’une activité exportatrice structurante pour l’économie insulaire.
Le projet de loi concocté par les services du ministre des outre-mer contre la vie chère pourrait être l’occasion d’initier les changements nécessaires.