En octobre 2024, Antilla publiait un article de Claire-Emmanuelle Laguerre intitulé « Entre misère et souffrance : la Martinique face à ses libertés inachevées ». L’autrice y proposait un diagnostic lucide de l’archipel martiniquais, tiraillé entre héritage colonial, souffrance sociale et immobilisme politique. Ce texte a suscité de nombreuses réactions, dont celle de l’écrivain et universitaire Jean-Durosier Desrivières. Dans un courrier adressé à la rédaction, il souligne combien les analyses actuelles gagneraient à être enrichies par les chroniques visionnaires de Jean Bernabé, publiées dans Antilla entre 2010 et 2011, au sortir du débat sur les articles 73 et 74 de la Constitution.
En guise d’éclairage et de continuité, Antilla vous propose de revisiter cette chronique oubliée, aujourd’hui précieusement conservée au sein du Fonds Jean Bernabé à la Bibliothèque universitaire du campus de Schoelcher. En réactivant cette parole intellectuelle, l’objectif est clair : raviver un débat essentiel sur les formes politiques possibles pour la Martinique, entre dépendance persistante et rêves d’autonomie.
Une pensée stratégique enracinée dans les réalités martiniquaises
Dans sa série de chroniques intitulée « La Martinique après le débat sur les articles 73-74 : état de lieux », publiée dans Antilla entre octobre 2010 et juin 2011, Jean Bernabé déplie les impasses structurelles du modèle politico-administratif martiniquais. Face à l’échec du référendum de janvier 2010 — où l’article 74, porteur d’une plus large autonomie, a été rejeté — le linguiste propose un diagnostic rigoureux : le peuple martiniquais reste tiraillé entre des aspirations à la dignité politique et une peur du saut dans l’inconnu institutionnel.
Sa grille d’analyse, loin d’être dépassée, entre en résonance directe avec les tensions actuelles. Bernabé y dénonce ce qu’il appelle une « identité mimétique », construite sur la dépendance à l’Hexagone, mais sans les leviers réels du développement local. Il y oppose la nécessité d’un imaginaire politique renouvelé, ancré dans la culture créole mais aussi dans les réalités mondiales et régionales.
Des archives disponibles et accessibles
Le travail de préservation de cette parole a été rendu possible grâce à Jean-Durosier Desrivières. Entre 2020 et 2021, dans le cadre du projet « Mondes créoles », il a entrepris le classement et la numérisation du Fonds Jean Bernabé. Ce travail a permis la mise en ligne des archives intellectuelles du linguiste, disponibles aujourd’hui sur les plateformes suivantes :
Ces archives comprennent non seulement ses articles et chroniques, mais également ses notes de cours, manuscrits, conférences et correspondances. Elles constituent une ressource fondamentale pour tous ceux qui souhaitent penser la Martinique au-delà des slogans ou des logiques binaires.
Vers une pédagogie de la conscience politique
La suggestion de M. Desrivières d’exhumer cette chronique de Bernabé ne relève pas d’un simple hommage. Il s’agit bien d’un acte de transmission, dans un contexte où les discours simplificateurs sur l’émancipation ou la souveraineté gagnent du terrain sans forcément proposer de stratégie claire.
Relire Bernabé, c’est redonner de la profondeur aux débats politiques actuels. C’est rappeler que l’autonomie ou l’évolution statutaire ne sont pas des fins en soi, mais des cadres à construire collectivement, avec des outils conceptuels solides, une volonté partagée et une lucidité sur les rapports de force.