Question d’échelle
Vertige… Sam Altman, l’humain derrière ChatGPT, a ajouté un zéro aux ambitions planétaires en matière de semi-conducteurs. Ce n’est plus en centaines de milliards de dollars qu’il faut raisonner mais en milliers de milliards pour construire par dizaines les usines géantes qui abreuveront le monde en puces destinées à l’intelligence artificielle (IA) : cette fois, l’adjectif « fou » s’applique vraiment, note Nicolas Madelaine.
Il est prématuré de dire si ses projets aboutiront mais changer d’échelle n’effraie pas l’entrepreneur, à la différence des Etats qui ont du mal à suivre le rythme de ce monde. Alors ils s’inquiètent, à l’image de l’Autorité de la concurrencefrançaise qui déclare ne pas vouloir que le marché de l’IA soit dominé par quatre acteurs, explique Florian Dèbes. En attendant, les poids lourds de la tech américaine – Microsoft, Apple, Amazon, Alphabet, Nvidia et Meta – règnent sur les marchés mondiaux avec une valeur boursière cumulée de 12.000 milliards de dollars, observe Bastien Bouchaud. Soit quatre fois la valeur de toutes les sociétés du CAC 40. Question d’échelle, toujours…
La grève évitée
S’il est bien un domaine où il faudrait aussi changer de braquet, c’est le climat. C’est ce que prétend faire l’Union européenne en visant une réduction des émissions de CO2 de 90 % en 2040, objectif relevé, indique notre correspondante Fabienne Schmitt. Mais elle le fait avec prudence car partout sur le continent, les agriculteurs restent mobilisés, prévient Vincent Collen. Les élus aussi sont prudents à l’image de ces métropoles qui reportent, comme Aix-Marseille, la prochaine étape des restrictions sur les véhicules polluants, constatent Laurent Thévenin et Anne Feitz.
On ne parle d’ailleurs plus de « Pacte Vert » dans les mêmes termes. Il est question d’industrie, de « compétitivité », de « transition juste », observe notre éditorialiste Etienne Lefebvre. Il s’agit aussi de répondre au concurrent américain avec notre « Net-Zero Industry Act » en réponse à l’Inflation Reduction Act américain, l’objectif de Bruxelles étant de favoriser les industriels européens. Aller plus vite sur le climat ? Difficile donc, même si certains, en montagne, y auraient intérêt : Anne Feitz dévoile un rapport de la Cour des comptes qui s’inquiète pour l’avenir des stations de ski.
Justement, y aura-t-il des trains pendant les vacances ? Le patron de la SNCF est monté au créneau face aux menaces de grève des contrôleurs (ils sont 8.000) et a mis les 150.000 cheminots face à leurs responsabilités, explique Denis Fainsilber. Il a notamment rappelé qu’en trois ans, la rémunération moyenne a progressé de 17 % à 21 % alors que l’inflation cumulée atteint 13,2 %. On notera aussi que la concurrence de Trenitalia n’est pas aussi redoutable pour le TGV que certains le craignaient…
La catastrophe Atos
Même le secteur de la Tech n’est pas à l’abri d’accidents industriels. Au bord de la faillite, Atos, ex-fleuron de l’informatique français, a dû se résoudre à demander la désignation d’un mandataire ad hoc pour faire face à une situation financière intenable, racontent Leïla Marchand, Anne Drif et Nicolas Madelaine. Bruno Le Maire a assuré que l’Etat fera tout pour préserver les activités stratégiques d’Atoscomme le supercalculateur qui sert à la simulation des essais nucléaires. Qui est responsable de cette déconfiture ? Un peu tout le monde, répond notre éditorialiste David Barroux.
Mais il y a aussi la French Tech qui se porte bien ! Le secteur a créé 36.000 emplois l’an dernier (+9,4 %) dans un contexte pourtant peu favorable, révèle Charlie Perreau. On compte aussi une nouvelle « licorne » (société valorisée plus d’un milliard de dollars) avec Pennylane, spécialisée dans la gestion financière et qui vient de boucler une levée de fonds de 40 millions d’euros. A une autre échelle, l’opérateur Orangeva enfin pouvoir boucler son rapprochement avec MasMovil en Espagne, une opération à 19 milliards d’euros, rapporte Florian Dèbes.
Le ralentissement de l’économie pèse sur l’emploi, y compris pour les cadres même si les besoins d’embauche se maintiennent à un haut niveau, détaille Leïla de Comarmond. Dans l’actualité des grands groupes français, Nicolas Rauline détaille les profits record de TotalEnergies (19,9 milliards d’euros), Anne Bauer explique la succession en douceur à la tête de l’empire Dassault, Charles Edelstenne laissant sans surprise la place à Eric Trappier, enfin Lionel Steinmann raconte les difficultés de Renault à réussir sa mue dans la « voiture logicielle », ce Graal de l’industrie automobile dans lequel excelle Tesla.
Le « Moi je » de Bayrou
La conversion à l’électrique n’est décidément pas un fleuve tranquille. Les concessionnaires s’inquiètent déjà de la « bombe à retardement » de la voiture à 100 euros par moiscar ces modèles risquent de très mal se vendre d’occasion, expliquent Guillaume Guichard et Lionel Steinmann. Inquiétant également, la fabrication de voitures sur le sol français a tout juste atteint 1,5 million d’unités l’an dernier, maigre bilan laissant la France à bonne distance de l’Allemagne (4 millions) et de l’Espagne (2,4 millions).
Bien loin de tous ces enjeux, c’est l’acte II du remaniement qui a monopolisé l’attention de la classe politique avec les sorties théâtrales de François Bayrou qui l’ont mené dans l’impasse du « moi je », cingle Cécile Cornudet. Pour ne rien arranger, le Parquet a fait appel de sa relaxe et Valérie de Senneville explique pourquoi.
Dans ce gouvernement au complet, on retiendra les arrivées de Nicole Belloubet, une femme de gauche qui devra apaiser les enseignants, explique Marie-Christine Corbier, et de Frédéric Valletoux à la Santé, un des meilleurs connaisseurs du secteur et en particulier de l’hôpital public, précise Solenn Poullennec. Son arrivée coïncide avec l’annonce du relèvement de 26,50 à 30 euros du tarif de base de la consultation chez un généraliste. Une décision bienvenue, juge notre éditorialiste Etienne Lefebvre, mais dont on attend qu’elle soit suivie d’engagements en retour de la part des médecins libéraux.
Ascenseur émotionnel
Il y a aussi ceux qui avaient tant espéré et finalement n’entrent pas au gouvernement. Elsa Freyssenet raconte ainsi la « descente émotionnelle » de Sacha Houillé, qui s’y est cru avant de déchanter et va donc rester à l’Assemblée.
Mais pour faire vraiment le plein d’émotion en politique, il faut aller aux Etats-Unis où l’extraordinaire phénomène Taylor Swift brouille toutes les cartes dans le camp républicain, à la grande fureur de Donald Trump, analyse Eric Le Boucher. La campagne là-bas vire à l’absurde, raconte notre correspondante Solveig Godeluck qui a par ailleurs recueilli une interview exceptionnelle d’un des principaux conseillers économiques de l’ancien président. Il explique son programme, détaille ses priorités et affirme son intention d’abroger d’urgence l’Inflation Reduction Act. A lire absolument.
Poutine seul en piste
Si l’issue de la présidentielle américaine est incertaine, ce n’est pas le cas en Russie. Notre correspondant à Moscou Benjamin Quénelle racontait en début de semaine les espoirs du camp anti-guerre rassemblé autour de la candidature du libéral Boris Nadejdine. A 60 ans, il y croyait et avait même réuni les 100.000 signatures nécessaires pour valider sa candidature. Mais en fin de semaine, la Commission électorale a rejeté son dossier. Vladimir Poutine n’aura donc pas de véritable concurrent…
Peur, colère, espoir… ainsi triomphent les émotions en géopolitique et c’est notre chroniqueur Dominique Moïsi qui en parle le mieux. Il en a fait un livre que relate Christine Kerdellant. Lecture passionnante qui montre combien est béant, en ce premier quart du XXIe siècle, le fossé entre Occidentaux et non Occidentaux.