Mériadec Raffray
17 juin 2020
De l’objet social à l’empreinte territoriale d’une société, remise au goût du jour avec la crise économique que traverse la France, en passant par l’impact social et environnemental des investissements ou la transmission du capital, à tous les moments de la vie d’une entreprise, la tendance est clairement à l’adoption de comportements de plus en plus durables
1. Une « raison d’être » créatrice de sens
Allier rentabilité et impact social. C’est ce que permet de faire la loi Pacte, entrée en vigueur en 2019 et qui donne la possibilité aux entreprises de modifier leur objet social pour y introduire leur « raison d’être » et leur mission. Cette réflexion sur leur contribution au « bien commun », de nombreuses entreprises l’ont entamée depuis.
C’est le cas notamment du groupe Rocher. Affichant 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et employant 2 500 personnes, celui-ci est le premier groupe indépendant et d’envergure mondiale à avoir adopté le statut de « société à mission ». En témoigne la « raison d’être » dont il a enrichi ses statuts : « reconnecter les gens à la nature ». Un slogan conforme à son ADN et qui se décline en une ambition très concrète : « développer un écosystème durable qui combine création de richesse, innovation frugale et écologisme humaniste ». « Dans 20 ans, le groupe Rocher sera toujours une entreprise familiale. C’était le rêve de mon grand-père. J’en fais un point d’honneur », aime à répéter Brice Rocher, l’héritier et dirigeant de l’entreprise bretonne qui a inventé les cosmétiques à base de plantes, aujourd’hui vendus dans 115 pays.
« Capitalisme durable ». Aboutissement du rapport Notat/Senard sur « l’entreprise, objet d’intérêt collectif » présenté en 2018 au président de la République, la loi Pacte introduit trois nouveautés en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises : l’obligation pour toutes les entreprises de gérer leur activité en « prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux » ; la possibilité de préciser une « raison d’être » dans leurs statuts ; la création d’une nouvelle forme de société, la « société à mission ». Expression de « l’intérêt supérieur de l’entreprise », décrypte le guide édicté par l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE), la « raison d’être » constitue la première brique d’un droit du « capitalisme durable ».
Elle n’est déjà plus une option pour les entreprises dans lesquelles l’Etat ou sa banque publique d’investissement, Bpifrance, sont actionnaires. Pour les autres, elle est une incitation à se doter « à la fois d’une boussole et d’un garde-fou », expliquent ses partisans. Chez certaines, cette notion apportera un élément de différenciation. Chez d’autres, elle offrira une protection contre les visions ou les stratégies trop court-termistes.
Actuellement, les deux tiers des entreprises du CAC 40 affichent une raison d’être ou sont sur le point d’en adopter une. Mais 10 % seulement l’ont introduite dans leurs statuts, les implications juridiques n’étant pas neutres. Parmi les entreprises non cotées, en revanche, Rocher est un peu avant-gardiste.
Les entreprises indépendantes avancent de façon « plus intuitive », explique David Guinard, cofondateur et dirigeant de Photosol (60 salariés, 35 millions d’euros de chiffre d’affaires), le cinquième producteur français d’électricité photovoltaïque : « Nous n’avons rien formalisé mais notre aventure a démarré avec une conviction des associés : participer à la transition écologique. Ensuite, nous essayons de mettre notre comportement quotidien au maximum en adéquation avec nos domaines d’intervention ».
Convictions. Une philosophie partagée par François Blot, le fondateur des Assurances de l’Adour (7,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, 120 collaborateurs), leader de la vente en ligne des complémentaires santé pour les seniors, qu’il vient de céder au groupe indépendant SPVIE : « Pour moi, la raison d’être, c’est entreprendre ! Je suis un militant de l’entreprise. Porter un projet économique, cela a du sens en soi ; on crée de la richesse collectivement, on offre à des gens une opportunité de se réaliser personnellement et professionnellement ».
De ce point de vue, la crise du Covid-19 vient d’apporter la preuve que les entreprises sont « passées du sermon à l’action » en se « mettant au service de la collectivité, parfois en se substituant à des forces publiques pas toujours présentes », pour reprendre la formule d’Henri de Castries, président de l’Institut Montaigne et ex-directeur général d’Axa.
Un des exemples les plus emblématiques est celui du respirateur artificiel MakAir, conçu pour équiper rapidement les urgences des hôpitaux. Celui-ci est le fruit d’un partenariat réunissant la start-up Diabeloop, le fabricant de drones Parrot, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), STMicroelectronics, Michelin, Renault, Seb, le CHU et l’Université de Nantes