MANQUE DE MOYENS
De l’insécurité aux violences conjugales en passant par le défaut de protection suffisante des victimes, un même blocage : la pauvreté de l’institution judiciaire. L’impact économique des tensions françaises est pourtant majeur.
Atlantico : Alors que le gouvernement débloque des budgets pour sauver la culture et le cinéma, le quoi qu’il en coute annoncé par Macron semble peu se préoccuper du budget de la Justice. N y a-t-il pas pourtant urgence de se préoccuper du renflouement de cette institution ? Cette situation existe-t-elle depuis longtemps ?
Pierre-Marie Sève : La pauvreté de la Justice date d’il y a plusieurs décennies, voire même plusieurs siècles. C’est en effet une critique récurrente de la Justice de manquer de moyens, d’être lente. Déjà, Shakespeare faisait discourir Hamlet sur la lenteur de la Justice.
Mais il est pourtant vrai que dans la France de 2021, la critique parait toucher encore plus juste. En effet, si le Garde des sceaux a pu fanfaronner sur les 8 milliards d’euros de budget Justice pour 2021, ce sont plutôt 4,6 milliards d‘euros que retiennent les indicateur européens, la Justice française ayant la particularité de combiner le système judiciaire et l’administration pénitentiaire.
Des comparatifs européens rappellent à quel point la France a décroché. Le budget français est de 69€ par habitant. L’Italie à 83€, l’Espagne 92€ et l’Allemagne 131€. Pour les pays au PIB comparable au notre, la moyenne est un budget de 0,31% du PIB, nous en sommes très loin.
SI nous voulions rattraper ces pays, le budget réel de la Justice française ne devrait pas être de 4,6 milliards, mais de 7,5 milliards d’euros. A noter toutefois que la budget Justice augmente chaque année et l’année dernière est une hausse plus importante que les autres années, mais cette remontée est beaucoup trop lente.
Au regard des dysfonctionnements actuels de l’appareil judiciaire, l’amélioration des choses vient il de la question de la détermination ou des moyens ? Comment se traduit cette situation au quotidien ?
Le manque de moyens au quotidien, c’est par exemple le témoignage d’un magistrat anonyme qui a confié à un ami que la première fois qu’il est entré dans son tribunal, il a cru qu’on le faisait monter par l’escalier de service tellement la vétusté du lieu était criante. Au quotidien, c’est également le matériel des magistrats qui est au rabais. On ne change de code pénal que tous les deux ans, alors que c’est leur instrument de travail etc… A ce titre, le logiciel Cassiopée sensé être l’outil centralisateur de la Justice a nécessité des années de travail pour un logiciel calamiteux aujourd’hui.
Toutefois, comme le dit l’ex-magistrat Philippe Bilger, « le budget de la Justice doit être augmenté, mais le manque de moyens ne doit pas être un alibi. » Les dysfonctionnements de la Justice sont loin d’avoir pour seule cause le manque de moyens. L’idéologie dont font preuve certains magistrats, le manque de places de prison etc… sont autant de raisons expliquant les nombreux dysfonctionnements de la Justice.
Lorsque l’on regarde nos voisins européens, la France a-t-elle moins de procureurs et de moyens que certains pays ?
La pauvreté de la Justice française se retrouve en effet particulièrement dans les chiffres des procureurs. Il est connu que les procureurs français sont assommés de travail et de fonctions cumulées etc… Par rapport à nos voisins européens, nous n’avons en France que 3 procureurs pour 100 000 habitants, soit moins que le Royaume-Uni (3,2) que l’Italie (3,7) ou que l’Espagne (5,2) et la moyenne européenne est à 12 ! Si ce n’était l’Irlande, pays à tradition accusatoire donc où le rôle du Ministère public est bien moins important, la France serait tout simplement la dernière en Europe. Pour un pays avec une tradition inquisitoire et publique, c’est donc bien trop peu.