Le Monde
Le secrétaire national d’Europe Ecologie-Les Verts a du mal à mobiliser les électeurs et à creuser l’écart avec les autres listes de gauche.
Par Denis Cosnard
Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Ecologie-Les Verts et tête de liste aux régionales en Ile-de-France, vient rencontrer des entrepreneurs sociaux et solidaires lors d’une visite de la Cité fertile, à Pantin, le 26 mai. BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »
En arrivant au café, Julien Bayou interroge son équipe : « Je mets la cravate ? » De son sac, il extrait une élégante cravate noire De Fursac encore emballée dans sa boîte… puis la range à nouveau. Pour cette campagne des régionales qu’il mène en Ile-de-France, le secrétaire national d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) a déjà troqué les tee-shirts pour de sobres chemises blanches, des vestes classiques, et coupé ses cheveux. Vendredi 21 mai au matin, à la gare de Lyon, où il doit « échanger avec les usagers sur les transports au sein de l’Ile-de-France et interrégions », pas la peine d’en rajouter.
D’autant que pour asseoir sa crédibilité, l’ancien activiste de Génération précaire et Jeudi noir a fait venir Bruno Bernard, l’écologiste qui a conquis, en 2020, la présidence du Grand Lyon. La preuve vivante que « non seulement les écologistes peuvent être élus, mais aussi être efficaces », affirme le Lyonnais en détaillant les mesures qu’il a prises : « Nous avons augmenté les investissements pour les transports en commun de 1,3 à 2,5 milliards d’euros, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville. »
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Face à lui, Julien Bayou assure entre deux gorgées de café que les écologistes peuvent se révéler plus sérieux que sa principale adversaire, la présidente sortante Valérie Pécresse (ex-Les Républicains). « Contrairement à l’image qu’elle donne, c’est une piètre gestionnaire, assène-t-il. Elle promet des sommes folles, sans lien avec le réel. Le Val-d’Oise, par exemple, attend toujours le milliard qu’elle avait annoncé. La chambre régionale de la Cour des comptes a montré qu’avec elle, le taux d’exécution du budget d’investissement est tombé en quatre ans de 72 % à 58 %. Pour chaque euro voté, seuls 58 centimes arrivent sur le terrain… »
Une distribution de tracts laborieuse
Au passage, le candidat donne un coup de griffe à sa concurrente Audrey Pulvar, soutenue par le Parti socialiste, qui propose de rendre les transports en commun gratuits pour tous. Pas raisonnable, juge Julien Bayou, « vu les nécessités d’investissement et le coût de fonctionnement du futur métro du Grand Paris ». D’ailleurs, « les associations d’usagers demandent d’améliorer les transports et de développer une tarification sociale, pas la gratuité », glisse Bruno Bernard.
A 10 h 30, le temps est venu d’« échanger avec les usagers sur les transports », comme le veut le programme. La quinzaine de militants et d’élus quitte la terrasse et se poste sur le parvis de la gare. « Il faut faire des photos ou bien distribuer des tracts ? », demande une novice. « Les deux ! », prescrit Julien Bayou. Les photos, d’abord. Tout le monde devant la tour de la gare de Lyon, avec de jolis masques verts frappés du slogan « L’écologie évidemment ! ». Parfait pour Twitter.
Devant les entrepreneurs qu’il rencontre, ce 26 mai, à Pantin, Julien Bayou égrène les points de son programme. BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »
La distribution s’avère plus laborieuse. La plupart des militants restent groupés autour de Julien Bayou, et continuent à discuter de la campagne. Les attaques contre les boomeurs ? « C’était maladroit, mais ça ne valait pas la polémique qui a suivi », juge Nicolas. Les bisbilles entre les trois principaux candidats de gauche ? « Au premier tour, c’est normal, plaide Guillaume, un partisan de Benoît Hamon enrôlé dans l’opération. Mais l’union aura lieu au second, c’est sûr. » Laurence Abeille, deuxième sur la liste parisienne, renchérit : « La mayonnaise prend bien, déjà entre nous, ce qui n’était pas évident compte tenu des cultures un peu différentes entre EELV et Génération.s », le parti de M. Hamon.
Aides aux petites entreprises
Seuls deux militants proposent timidement leurs tracts aux voyageurs, rares à cette heure. Au bout de dix minutes, deux policiers approchent. « Vous savez qu’il faut une autorisation pour distribuer des tracts ici ? » Léger flottement. Laurence Abeille amadoue les forces de l’ordre : « On était juste venu pour les photos, on repart. » L’équipe aux masques verts reprend le chemin du café. Bilan de la matinée : un peu de team building entre écolos, deux journalistes rencontrés, une dépêche AFP, mais aucune discussion avec un quelconque usager, et… sept tracts distribués en tout et pour tout. Peut-être cela valait-il mieux. Les tracts, déjà anciens, montraient un Julien Bayou à la chevelure abondante et donnaient de mauvaises dates pour l’élection, finalement repoussée aux 20 et 27 juin.
Cinq jours plus tard, changement de décor. Rendez-vous à la Cité fertile, une ancienne gare de marchandises transformée en « tiers-lieu écoresponsable », avec mobilier de récupération et toilettes sèches, à Pantin (Seine-Saint-Denis). Julien Bayou y avait déjà tenu les Journées d’été d’EELV. Cette fois-ci, il doit rencontrer des entrepreneurs de la transition écologique, sept sur place, une vingtaine en visioconférence. L’un embouteille l’eau du robinet, l’autre distribue des produits bio, un troisième loue des vélos électriques… « Il y a vingt ans, quand on évoquait ce genre d’idées, on nous regardait comme des hurluberlus et on ne trouvait personne pour les mettre en œuvre, se souvient Laurence Abeille, qui accompagne à nouveau le candidat. Là, ils sont trente d’un coup ! Une nouvelle génération nous porte… »
Face à des entrepreneurs de la transition écologique, la tête de liste EELV en Ile-de-France avoue « être dans [son] écosystème ». BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »
Les uns après les autres, ils racontent leurs projets et leurs difficultés, avec une question centrale : la région pourrait-elle, demain, les aider davantage ? Julien Bayou prend des notes au dos d’une enveloppe, sur laquelle il avait déjà griffonné « Pécresse menteuse », « RN dangereux » et quelques autres formules à glisser dans ses propos. Au moment de répondre, il hésite. « Je n’arrive pas à me relire », avoue-t-il. La salle sourit. Peu importe, il a son projet bien en tête. « La région doit mieux choisir qui elle soutient, explique-t-il. Pécresse vient de donner 1 million d’euros à Renault, qui a déjà reçu 5 milliards de l’Etat et licencie. Pour le même prix, on aurait pu donner 100 000 euros à 10 PME. Nous, on assume d’aider les plus petits, les entreprises qui ont un impact fort sur l’emploi et jouent la transition écologique. Il faut prendre des risques, parfois en soutenant ce qui peut foirer. Sinon, Bouygues, Vinci et les autres sont toujours favorisés. Avec nous, fini les aides sans contreparties. »
Faire mentir les sondages
Priorité, donc, à tout ce qui est bon pour l’environnement et le climat. Au fil des échanges, le nouvel avocat propose de créer 1 700 nouveaux kilomètres de pistes cyclables, de multiplier les recycleries (« une pour 10 000 habitants »), d’ouvrir une « maison des livreurs » où ceux-ci pourraient se reposer et qui les aiderait « dans leur baston juridique »… « Je réfléchis aussi à une régie régionale paysanne, qui embaucherait des paysans, pour développer l’agroécologie », indique-t-il. L’ensemble serait notamment financé par un meilleur recours aux fonds européens, peu mobilisés jusqu’à présent par la région.
Avec de jeunes créateurs d’entreprises écolos, « je suis dans mon écosystème », reconnaît volontiers Julien Bayou en sortant de la Cité fertile. Une stratégie assumée. Dans une élection où la participation s’annonce faible, l’essentiel est de mobiliser sa base. Le lendemain, l’écologiste de 40 ans doit d’ailleurs se rendre dans une recyclerie du 18e arrondissement.
« Mon enjeu premier, c’est de récupérer les électeurs qui ont voté pour les trois listes les plus proches de nous aux européennes de 2019 », confie-t-il. A l’époque, 770 000 personnes avaient choisi en Ile-de-France les listes menées par Yannick Jadot, Benoît Hamon et l’écologiste Dominique Bourg, soit 21,8 % des suffrages. « En mobilisant ces électeurs, et ceux qui sont venus depuis à l’écologie, on peut faire un bon score au premier tour, veut croire le candidat. Puis on se rassemble avec les autres listes de gauche, cela peut créer une très forte dynamique, même en quelques jours, et on gagne. »
Pour l’heure, cependant, les électeurs séduits par l’écologie en 2019 ne semblent pas pressés de voter Bayou. Dans les sondages, sa liste ne recueille qu’entre 11 % et 13 % des intentions de vote au premier tour, selon les enquêtes, sans creuser de net écart avec celles d’Audrey Pulvar et de Clémentine Autain (La France insoumise). Aucune liste de gauche n’est même certaine de passer le cap du premier tour, face à celles de Valérie Pécresse, Jordan Bardella (Rassemblement national) et Laurent Saint-Martin (La République en marche).
Au second tour, la liste commune de la gauche menée par Julien Bayou plafonne à 23 % des intentions de vote, contre 37% pour celle de la présidente sortante, dans le sondage réalisé du 27 au 30 mai auprès de 1155 personnes par OpinionWay pour CNews. « Un mois avant le premier tour, c’est Gérard Collomb qui devait être élu, rétorque Bruno Bernard. Alors, les sondages… »