Six mois après la signature du protocole d’accord du 16 octobre 2024, les autorités martiniquaises dressent un premier bilan de la lutte contre la vie chère. Les rapports officiels publiés par la préfecture, la DGCCRF et l’Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) mettent en lumière des avancées concrètes, tout en soulevant de nombreuses réserves et critiques de la part des acteurs locaux et de la société civile.
Bilan chiffré des mesures 2024-2025
Depuis l’entrée en vigueur des premières mesures début janvier 2025, plus de 6 000 produits de consommation courante, principalement alimentaires, ont vu leur prix baisser en moyenne de 8,4 % chez les trois principaux distributeurs, qui représentent environ 60 % du marché local. Cette baisse concerne 81 % des références suivies, tandis que 5 % des produits sont restés stables et 14 % ont connu une légère hausse, sans augmentation significative sur aucune des 54 familles ciblées par le protocole.
Parmi les mesures appliquées figurent la suppression de l’octroi de mer et le gel des marges dans la grande distribution à compter de janvier 2025, ainsi que la suppression totale de la TVA depuis mars, dont l’impact sera mesuré dans les prochains bilans officiels.
Limites et réserves
Les autorités reconnaissent que l’effet stock – lié aux achats réalisés avant la mise en place des nouvelles mesures – limite temporairement la baisse perçue par les consommateurs, certains produits n’ayant pas encore intégré la nouvelle tarification. De plus, tous les distributeurs n’ont pas encore signé le protocole, ce qui restreint la portée de la baisse à l’ensemble du marché. Enfin, l’objectif affiché d’une baisse de 20 % sur les produits de première nécessité n’est pas encore atteint, même si la dynamique est jugée positive par les acteurs institutionnels.
Contrôles et transparence
En 2024, 62 contrôles ont été réalisés dans 56 magasins, soit un taux d’anomalie de 30 %, en nette diminution par rapport à l’année précédente. Ces anomalies ont été rapidement corrigées. Le suivi régulier, assuré par la DGCCRF et la DEETS, s’inscrit dans une période d’observation de 36 mois destinée à garantir le respect des engagements pris par les distributeurs et les acteurs économiques.
Réactions et perspectives
Si les autorités saluent ces premiers résultats, de nombreux consommateurs expriment leur frustration, ne percevant pas toujours l’impact sur leurs tickets de caisse. Les responsables locaux appellent à la prudence et à la poursuite des efforts, notamment en faveur du développement de la production locale et de l’amélioration de la logistique d’approvisionnement. Les prochains bilans, qui intégreront l’effet de la suppression de la TVA et la participation d’autres distributeurs, permettront d’évaluer plus précisément l’impact global du protocole.
Des critiques persistantes et des interrogations
Malgré l’affichage d’une dynamique positive, plusieurs critiques majeures émergent dans le débat public :
Un objectif jugé trop ambitieux et suspendu
De nombreux observateurs et responsables politiques estiment que la cible d’une baisse de 20 % sur les produits de première nécessité est difficilement atteignable. La suspension du protocole en décembre 2024, à la suite de la crise politique nationale et du changement de gouvernement, a renforcé le scepticisme sur la capacité de l’État à tenir ses engagements et à accompagner durablement la démarche.
Des mesures jugées insuffisantes ou mal ciblées
Syndicats, associations de consommateurs et élus locaux pointent le caractère limité des dispositifs (suppression de l’octroi de mer, gel des marges, suppression de la TVA), jugés insuffisants pour compenser la faiblesse du pouvoir d’achat local et la hausse structurelle des coûts d’acheminement. Beaucoup regrettent que la baisse effective ne soit pas toujours perceptible sur les tickets de caisse, l’effet stock retardant l’impact pour de nombreux produits.
Un manque de concertation et une méthode contestée
Plusieurs acteurs économiques dénoncent un manque de concertation réelle, craignant des mesures imposées « par le haut » sans prise en compte des réalités du tissu économique martiniquais. Certains entrepreneurs s’inquiètent de la viabilité des entreprises locales face à une régulation jugée trop stricte et centralisée.
Un contexte politique et financier incertain
La suspension du protocole et les incertitudes sur la participation financière de l’État – notamment sur le mécanisme de compensation des frais d’approche et la pérennité de la suppression de la TVA – alimentent le scepticisme quant à la capacité des mesures à s’inscrire dans la durée et à produire un effet structurel sur la vie chère.
Nouvelles mesures et élargissement du dispositif (2025)
Pour 2025,L’Observatoire des Prix, des Marges et des Revenus (OPMR) propose d’élargir le bouclier qualité-prix (BQP) à 250 produits de grande consommation (contre 134 actuellement) et de créer un BQP spécifique pour les services automobiles et le matériel de bricolage. De nouvelles études sont également prévues sur les prix des services funéraires, des matériaux de construction, du riz et de l’eau en bouteille, avec un engagement du préfet à mobiliser les moyens humains nécessaires pour mener à bien ces travaux, en concertation avec les acteurs économiques.
La lutte contre la vie chère en Martinique est engagée, avec des résultats encore insuffisants pour répondre pleinement aux attentes de la population. Les mesures en place montrent leur efficacité, mais la route reste longue pour atteindre l’objectif de -20 % sur les produits de première nécessité et garantir un impact durable. Les critiques, tant sur la méthode que sur la portée réelle du dispositif, rappellent la nécessité d’une action plus concertée, transparente et adaptée aux réalités locales. Les prochains mois seront décisifs pour confirmer la tendance, ajuster les dispositifs et élargir la couverture à l’ensemble des circuits de distribution et des services. Faite de quoi les troubles reprendront.