Gandhi portait une montre Zenith. Cette montre de poche en argent était devenue l’une de ses rares possessions matérielles et accompagnait son quotidien, signalant notamment ses heures de prière grâce à une fonction d’alarme. De Durban à Johannesburg où le guide a aussi exercé la fonction d’avocat pour défendre les droits des travailleurs, en particulier dans les plantations de la province côtière du KwaZulu-Natal, ancien royaume du roi Shaka, un même apprentissage du temps.
De la patience à l’opiniâtreté. De la dextérité du travail bien fait à la créativité. De l’engagement à la persévérance. En zoulou : Masisukume sakhe (« Élevons-nous et construisons »). Telle est la devise de la terre d’engagement sud-africaine de Gandhi.
La quête infinie de précision et l’aspect intangible de la mesure du temps donnent à la pratique horlogère une forte dimension philosophique.
A l’origine, le métier d’orloger (sans H) a d’abord été destiné au réglage des canons. A la croisée des sciences, des arts et de la technique, ce savoir-faire a traversé des mers, accompagnant des relations riches et intellectuelles entre la France et l’Afrique du sud, par exemple à travers les émigrés huguenots à Cape Town, Table Mountain ou Franschhoek (le « coin des Français »). Comme d’autres diasporas technologiques et scientifiques, ces derniers vont véhiculer des techniques et un savoir-faire, d’une région et d’un pays à l’autre. L’histoire de l’horlogerie continuera d’évoluer au XXe siècle et s’aventurer sur la mer.
Comme on rentrerait au cœur d’un diamant dont les facettes en font converger la lumière, l’apprentissage du temps s’est aussi développé au contact de la diplomatie des deux rives. Les deux rives d’une « Mer Rouge », métaphore de la traversée de la baie du Mont-Saint-Michel, inscrite au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.
Dans cette baie millénaire balayée dans ses avant-postes stratégiques et périphériques par les Marches de Bretagne et les îles Anglo-Normandes, laboratoire avancé pour permettre aux chevaliers des Croisades de transmettre leur patrimoine, s’est formé un couple de bijoutiers : Marie et Charles Jouet. Pendant leur jeunesse, tous deux ont vécu leurs premières rencontres dans la cité doloise, fièrement campée sur l’ancien rivage de la baie du Mont-Saint-Michel aujourd’hui séparé par un marais.
Marie Jouet est née le 6 février 1897 et décédée le 9 août 1984 – Saint Malo, à l’âge de 87 ans. Comme son mari Charles, Marie a été formée en apprentissage dans la bijouterie-horlogerie de la Grande Rue des Stuarts à Dol-de-Bretagne. Cet établissement était un détaillant de la marque horlogère suisse Zenith, récompensée par le Grand prix de l’Exposition universelle de 1900. Les deux époux se sont mariés et installés ensuite à Vitré, sur les Marches de Bretagne. A la fin de leur carrière, ils ont fait construire une maison secondaire sur la digue de Saint-Malo pour terminer leur vie.
Le commerce de détail d’articles de joaillerie s’appuie sur des activités historiques d’assemblage de bracelets de montre. Par exemple, Les Ateliers de Vitré sont devenus un sous-traitant de référence pour les grands acteurs du luxe français. Riche de son bassin industriel et manufacturier, Vitré a sans doute développé des liens importants avec la « vallée du bijou » ardéchoise, où les ateliers Altesse fondés en 1905 emploient de véritables artisans passionnés. Sans oublier, les îles Anglo-Normandes avec le Musée du Diamant de Guernesey.
Parmi les personnalités ayant porté une montre Zenith, figure notamment Gandhi. Cette montre de poche en argent était devenue l’une de ses rares possessions matérielles et accompagnait son quotidien, signalant notamment ses heures de prière grâce à une fonction d’alarme.
Elle accompagna aussi Louis Blériot lors de sa traversée de la Manche ainsi que d’autres pionniers de l’aviation dans leurs exploits, leur offrant un garde-temps précieux et précis malgré les conditions extrêmes de l’aviation.
Dans toutes les formes d’adversité, l’apprentissage du temps nous apprend à voyager, de Gandhi aux Marches de Bretagne vers le Mont-Saint-Michel, qui fut un temps jadis une prison. Pour mieux nous représenter une force d’engagement capable de renverser les fonctionnements en silo et ouvrir des transversalités.
« Reviens l’horloge. Reviens planter les heures dans la peau des hommes ! » aurait scandé le poète Gwenaël De Boodt.
Si l’ancienne geôle de Gandhi et de Mandela sur les hauteurs de Constitution Hill à Johannesburg se souvient des horreurs du passé, elle embrasse aussi les promesses du futur, en abritant aujourd’hui la Cour constitutionnelle, laboratoire juridique de la démocratie sud-africaine et « law clinic » des droits de l’homme. En Bretagne l’ancienne prison de Guingamp est née sur le modèle humaniste de Pennsylvanie exploré par Alexis de Tocqueville sur sa route vers Philadelphie. Cet ancien univers carcéral du pays de l’Argoat a laissé place depuis 2021 à un Institut national supérieur de l’éducation artistique et culturelle du Conservatoire national des arts et métiers.
Une vague créative prête à réveiller des trésors humains vivants. Mais aussi aborder des enjeux de transmission, dans l’apprentissage du temps.
« Les murs renversés deviennent des ponts » écrivait Angela Davis. Pour l’éternité ?
Kevin LOGNONÉ